Avec l’évolution des usages et l’essor du visionnage à la demande, la mesure des audiences traditionnelles se transforme en profondeur. Face à ces bouleversements, France Télévisions repense sa stratégie pour toucher un public plus large et diversifié. Complémentarité entre linéaire et digital, montée en puissance des previews, influence croissante des réseaux sociaux, diversification de l’offre éditoriale : autant d’enjeux qui placent France.tv au cœur de cette mutation. Tiphaine de RAGUENEL, directrice éditoriale de France Télévisions, décrypte ces nouvelles dynamiques.
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Avec l’essor des usages délinéaires et de la preview, la mesure des audiences veille semble de moins en moins représentative. Comment France Télévisions adapte-t-elle ses critères d’évaluation ?
TIPHAINE de RAGUENEL
Le succès d’un programme se construit sur la durée. Notre stratégie est de proposer aux téléspectateurs plusieurs options pour le regarder : en live, en preview jusqu’à trois semaines avant la diffusion, ou à la demande après sa diffusion, via l’enregistrement ou sur France.tv. Nous nous adaptons aux usages, et cette approche contribue au succès de la plateforme. Nous pouvons évaluer l’audience d’un programme à J+8, grâce aux données consolidées de Médiamétrie qui intègrent le live, la preview et le replay. Mais l’impact ne s’arrête pas là : nous constatons encore de la consommation à J+28, ce qui confirme que certains programmes continuent d’être visionnés bien après leur passage à l’antenne.
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La plateforme France.tv joue un rôle clé dans l’évolution des usages, avec un public plus jeune que le linéaire. Comment intégrez-vous cette dynamique dans votre stratégie éditoriale pour garantir une complémentarité entre le direct et la VOD ?
TIPHAINE de RAGUENEL
Nous nous adaptons en multipliant les options de diffusion. Proposer nos séries en preview et en replay nous permet d’aller chercher un public différent de celui du live. Un excellent exemple est la série «Rivages», qui a battu des records de consommation avec près de 50 % des audiences réalisées à la demande, dont 33% en preview. Plus intéressant encore : l’âge moyen du public en linéaire et en délinéaire affichait un écart de 11 ans. Cela prouve que nous touchons des audiences complémentaires.
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Comment exploitez-vous ces données pour affiner vos choix éditoriaux ?
TIPHAINE de RAGUENEL
Ces chiffres sont essentiels pour évaluer le succès d’un programme et décider d’une éventuelle suite. Nous analysons les audiences consolidées à J+8, mais aussi à J+28, car entre ces deux jalons, certains programmes gagnent encore 10% d’audience supplémentaire. L’évolution des usages nous permet d’accélérer la diversification nos contenus. «Made in France», une comédie romantique, en est un bon exemple : dès son lancement, nous savions qu’elle serait particulièrement adaptée à une consommation en streaming. L’audience nous a donné raison : une grande partie de son succès s’est construit à la demande.
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Vous défendez l’intégration des previews dans l’audience veille. Où en sont les discussions avec Médiamétrie sur cette évolution ?
TIPHAINE de RAGUENEL
Actuellement, le consensus du marché est d’intégrer la preview dans l’audience consolidée à J+8. De notre côté, nous aimerions qu’elle soit prise en compte dès J+1, car elle reflète une consommation réelle du programme. Nous continuerons donc à pousser cette discussion pour voir si un nouveau consensus peut être trouvé.
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Les jeunes générations se détachent des usages traditionnels et YouTube est devenu le média numéro un des moins de 25 ans. Comment France Télévisions adapte-t-elle son offre pour capter et fidéliser ce public ?
TIPHAINE de RAGUENEL
Nous nous adaptons en offrant plus de flexibilité dans la consommation de nos programmes. Aujourd’hui, 64% de la consommation vidéo se fait encore à la télévision en live, mais 36% est désormais fait à la demande, une part qui ne cesse de croître. Nous attirons les jeunes grâce à des programmes fédérateurs comme «The Floor» ou «100% Logique», qui fonctionnent très bien auprès des nouvelles générations tout en séduisant un large public. Enfin, nous avons une offre spécifique pour les jeunes avec France tv Slash, qui est diffusée sur France.tv, YouTube et les réseaux sociaux. Par exemple, après sa diffusion sur notre plateforme, notre documentaire «Sauver Notre-Dame» a été mis en ligne sur YouTube, générant ainsi une consommation additionnelle auprès d’un nouveau public.
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La diversification des formats et l’hybridation des genres sont au cœur de votre stratégie éditoriale. Quels enseignements tirez-vous de l’impact de programmes comme «Drag Race France» ou «Les Rencontres du Papotin» sur l’engagement du public ?
TIPHAINE de RAGUENEL
L’engagement autour de ces programmes est impressionnant, notamment en termes de conversation générée. Nous suivons plusieurs indicateurs clés : le volume de réactions et de partages sur les réseaux sociaux (nombre de likes, commentaires, tweets…). L’impact sur l’image de France Télévisions, car ces programmes attirent des publics qui ne nous regardaient pas forcément en live et résonnent au-delà de leur simple visionnage. En touchant ces nouvelles audiences, nous renforçons la diversité et la modernité de notre offre.
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L’influence des réseaux sociaux sur la consommation de contenu ne cesse de croître. Comment intégrez-vous ces nouveaux canaux dans votre stratégie de diffusion et de promotion ?
TIPHAINE de RAGUENEL
Nous considérons les réseaux sociaux non seulement comme des outils de promotion, mais aussi comme des supports de consommation à part entière. D’ailleurs, lorsque nos contenus sont identifiés et marqués, Médiamétrie peut les comptabiliser dans l’audience globale des programmes. C’est un vrai levier de visibilité et de fidélisation. Nos objectifs sur ces plateformes sont triples : promouvoir nos contenus, favoriser l’interaction et la conversation et offrir un accès additionnel à nos programmes. Un extrait de trois minutes d’un programme vu sur un réseau social peut suffire à marquer un spectateur, à déclencher une discussion ou un partage. C’est une option de consommation complémentaire qui vient enrichir l’audience globale et amplifier l’impact de nos contenus.