Ukraine: les reporters toujours sur le front un an après

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Ultra-médiatisé, le conflit en Ukraine a surpris les rédactions, y compris les reporters habitués aux terrains de guerre, qui ont dû s’adapter à une durée et à une intensité d’une ampleur inédite, ainsi qu’à la difficulté de vérifier certaines informations. En un an, «12.000 journalistes ukrainiens et étrangers ont été accrédités» pour le couvrir, «c’est énorme», relate Jeanne Cavelier de RSF, évoquant un «terrain facilement accessible pour des rédactions, surtout européennes». L’accès est toutefois beaucoup plus difficile, voire impossible, de l’autre côté du front, comme le note le reporter britannique Tim Judah («The Economist»), qui regrette de ne pouvoir voir par lui-même si les Ukrainiens bombardent des civils à Donetsk, comme l’affirment les pro-Russes. Les voyages de presse, organisés jusqu’à l’été 2022 par les autorités russes pour les médias étrangers, étaient extrêmement calibrés. Depuis, et cela coïncide avec les difficultés de l’armée russe sur le terrain, les médias occidentaux ne sont plus invités à aller dans la zone du front. Au début du conflit, le 24 février 2022, peu de journalistes imaginaient se retrouver sur le terrain un an plus tard. «Tout le monde pensait: les pauvres (les Ukrainiens), ils sont très, très courageux, c’est formidable ils s’accrochent mais bon en deux mois ça va être réglé», rappelle Florence Aubenas, grand reporter au «Monde». Un an plus tard, l’Ukraine continue de faire la Une, le conflit présentant des implications économiques et politiques globales bien plus larges que celui en cours depuis 2014 dans le Donbass. Autre difficulté, les risques inhérents au métier de reporter de guerre. Au total, 8 journalistes ont été tués et 19 blessés, d’après RSF. Et même si l’ONG «n’a pas relevé d’autre décès depuis six mois», la menace reste permanente. Au point d’entraîner une «extrême fatigue mentale» chez les équipes régulièrement envoyées sur place pour des missions de 3 semaines, selon le patron de l’information de TF1, Thierry Thuillier. «C’est une usure qui n’est pas forcément visible, qu’on ne ressent pas tous de la même manière, car c’est quand même des questions de vie ou de mort qui se posent», confirme depuis l’Ukraine le reporter de TF1, Michel Scott. Lui qui a couvert «des dizaines de conflits en 30 ans» s’étonne de voir un conflit à l’ampleur inédite depuis la Deuxième Guerre mondiale, avec des armées «extrêmement modernes», de lourds bilans humains et une «intensité» qui n’a «quasiment pas baissé depuis le début». «Chaque conflit a sa particularité en termes de risques, ici c’est le bombardement» avec «toute la gamme de missiles et roquettes imaginables».La reporter d’Al-Jazeera, Hoda Abdel-Hamid, souligne toutefois qu’il y a des lignes de front» claires et que «les zones dangereuses sont bien délimitées», même si «des bombardements sont possibles en ville». «J’ai couvert des guerres en Irak, en Afghanistan, où régnaient le chaos, la pauvreté au milieu d’infrastructures en ruines» empirés par la guerre. «Il y avait aussi la menace du terrorisme, des voitures piégées, des attentats suicides, des faux checks-points, des combats entre milices». En Ukraine, «l’ordre public est assuré et les institutions fonctionnent». Envoyé spécial pour la radio espagnole Cadena Ser, Nicolás Castellano remarque lui que son travail y est «très facile», comparé à ses expériences au Congo, en Somalie ou au Soudan du Sud. «Tu as internet à n’importe quel moment du jour, tu peux envoyer ton information de n’importe où, prendre le train», relate-t-il. La plupart des reporters interrogés prévoient dans tous les cas de retourner en Ukraine, où le conflit va vraisemblablement «durer encore longtemps», selon Emmanuel Peuchot. «Je voudrais être là quand il y aura la paix, les négociations. Quand ce pays sera reconstruit, j’aimerais tellement être là aussi», confie la journaliste de France Télévisions Maryse Burgot, de retour de sa 7ème mission en Ukraine depuis janvier 2022.