Le streaming musical face au défi des bruits blancs et de l’IA 

Un doux bruit d’aspirateur ou une chanson créée via une intelligence artificielle générative s’accaparent une partie de la rémunération des artistes sur les plateformes de streaming musical, mais des stratégies se développent pour «limiter cette dilution». «Bruit de ventilateur au bord de mer», «Aspirateur» ou musique imparable pour «faire dormir bébé»: sur ces plateformes, ces sons basiques, appelés bruits blancs, pullulent. Avec ses algorithmes, Deezer a retiré environ 11 millions de ces titres depuis un an, jugeant qu’ils faussaient le calcul de la rémunération des artistes professionnels. Les services de streaming reversent environ 70% de la valeur générée à l’industrie musicale, soit 10 milliards de dollars en 2024 rien que par le leader suédois Spotify. La majorité du gâteau tombe dans l’escarcelle de la production (recording), le reste alimente l’édition (publishing). In fine, chaque ayant droit perçoit les sommes dues. Or, «ce qu’on ne souhaite pas, c’est qu’il y ait de la dilution: il n’est pas question de payer un bruit d’aspirateur de la même manière qu’on paye un véritable artiste», souligne Ludovic Pouilly, directeur des relations avec l’industrie musicale chez Deezer. Craignant de frustrer les utilisateurs qui plébiscitent ces fonds sonores pour travailler ou se relaxer, la plateforme française a toutefois créé sa propre bibliothèque de bruits, sans la comptabiliser dans les royalties. 

«Règles du jeu» : Faire le ménage dans un catalogue toujours plus fourni nécessite le développement d’outils, dans lesquels Deezer explique avoir investi au nom d’un «choix stratégique». L’entreprise a ainsi identifié qu’«environ 10.000 pistes totalement générées par IA» lui étaient livrées chaque jour, soit «environ 10% du contenu quotidien» reçu. A ce stade, ces titres ne sont pas bannis: «on a besoin de regarder les usages avant de prendre des décisions éclairées», justifie M. Pouilly. «La vraie question, c’est: est-ce qu’on ne sera pas amené à devoir considérer que les contenus 100% IA génératifs, sans acte de création en tant que tel, sont – ou pas – à cataloguer dans un même panier que les bruits blancs ?», interroge Julien Dumon, directeur du digital à la Sacem. Ce puissant organisme de gestion collective a signé en janvier avec Deezer un accord pour mieux rétribuer les créateurs d’une oeuvre musicale. Ces signaux s’inscrivent dans l’évolution du streaming musical, parti de zéro il y a une vingtaine d’années et qui a relevé une industrie lessivée par la crise du disque. Epinglées pour leur redistribution favorisant les chanteurs les plus écoutés, les plateformes sont désormais attendues sur leur capacité à mieux rétribuer leur matière première, notamment en triant le bon grain de l’ivraie. En jeu, «la capacité pour nos créateurs de vivre de leur métier», résume M. Dumon. «On veut que les Spotify, Deezer et autres grossissent, mais on veut également qu’il y ait des règles du jeu», applicables à tous, argue-t-il.