Rencontre avec Jean Nainchrik, figure emblématique de la fiction française, qui revient sur le succès de «HPI», ses projets engagés et sa vision d’un métier qu’il exerce depuis 40 ans avec passion et curiosité.
Vous connaissez un succès phénoménal avec «HPI» en France sur TF1, comme à l’international. Avec 5 saisons de recul, quels sont les ingrédients de ce succès si durable ?
Cela vient d’abord de l’expérience accumulée au fil des années, des projets que j’ai portés, des rencontres, des liens tissés. «HPI», c’est aussi le fruit du travail avec mes anciens collaborateurs, Pierre Laugier et Anthony Lancret, avec qui j’ai travaillé pendant 10 ans chez Septembre Productions. Un producteur est un fédérateur de talents. Il faut être curieux, prêt à casser les codes, à s’ouvrir à des idées nouvelles. Quand le projet «HPI» nous est arrivé sous forme de quelques pages de Nicolas Jean, on ne s’attendait pas du tout à ce qu’il devienne un tel succès. Mais on a été immédiatement emballés. C’est une histoire complètement irrationnelle, originale, et surtout humaine : celle d’une femme de ménage dans un commissariat, mère de trois enfants de pères différents, surdouée, qui devient une alliée de la police. C’est déjanté, mais positif, car on trouve toujours une solution. On ne s’imaginait pas à quel point cette série allait toucher autant de monde. Aujourd’hui, elle est diffusée dans plus de 107 pays, un remake américain est en cours de tournage, et la saison 5 arrive sur TF1 le 15 mai. Je dois dire que la force de création sans cesse renouveler des auteurs Alice Chegaray-Breugnot et Julien Anscutter est pour beaucoup. Il est important de signaler que «HPI» intéresse tout le monde et en particulier les jeunes voir les très jeunes dans une proportion rarement reconnue. C’est formidable dans une carrière comme la mienne, où j’ai produit plus de 160 films et séries pour la télévision.
Vous êtes également en préparation d’un long-métrage autour de Robert Badinter ?
Oui, je travaille actuellement sur un film consacré à ce grand homme. J’avais déjà produit «L’exécution» et «L’abolition», inspirés de ses ouvrages. Je le connaissais bien. Il me semblait évident qu’il fallait lui rendre hommage, d’autant plus qu’il entrera au Panthéon le 9 octobre. Ce projet me tient profondément à cœur.
Vous naviguez entre des univers très différents, de «HPI» à des sujets très forts comme «Les Ailes collées», qui sera diffusé le 14 mai sur France 2…
Oui, «Les Ailes collées» est une histoire magnifique. Elle parle de deux garçons victimes de harcèlement scolaire, de violence, et c’est aussi une très belle histoire d’amour. Une relation homosexuelle forte, mais qui aurait aussi pu concerner deux filles ou un couple hétéro. C’est une œuvre universelle, sensible, qui parle de résilience et de retrouvailles. Une grande histoire.
Vous qui avez produit plus de 160 œuvres pour la télévision, en quoi le rôle du producteur a-t-il le plus évolué selon vous ?
Aujourd’hui Septembre Productions est une société du groupe Mediawan mais le cœur du métier reste le même : être curieux, avoir l’envie, savoir rassembler des talents autour d’une idée. Que ce soit les comédiens, les scénaristes, les réalisateurs, les techniciens. Cela dit, les supports ont évolué. Les plateformes ont pris une place considérable. Il faut s’y adapter, repenser la manière de produire, de réunir les financements. Aujourd’hui, les grandes chaînes collaborent parfois avec les plateformes pour donner naissance à des projets ambitieux. Mais au fond, le producteur doit toujours avoir cette envie, cette énergie fédératrice.
Et la relation producteurs-diffuseurs à l’ère des plateformes ?
Le producteur est, avant tout, une force de proposition. Il doit rester à l’écoute, comprendre les nouvelles tendances, les attentes, les mutations du secteur. Le métier n’a pas changé dans son essence, mais les modalités de financement, elles, sont devenues plus complexes. Il faut savoir composer avec de multiples partenaires, des diffuseurs traditionnels, des plateformes, des aides régionales… Il faut convaincre, fédérer et garder intacte l’envie de créer.
Vous avez toujours jonglé entre histoire, société et grands destins : pensez-vous que la télévision est aujourd’hui le meilleur terrain pour ces récits engagés ?
Elle devrait l’être. Ce n’est pas toujours le cas, mais elle devrait. La télévision peut porter des œuvres puissantes, ancrées, qui marquent. J’ai produit «Les Pasquiers», «Les Thibault», une mini-série sur Arthur Rimbaud en Afrique, «Une femme dans la Révolution», «Inquisitio»… Aujourd’hui, c’est plus difficile de faire vivre ces grandes fresques. Mais elles ont du sens, elles laissent une trace.
Journaliste, agent, puis producteur : qu’est-ce que ces différentes vies ont apporté à votre manière unique de raconter des histoires ?
Je suis resté journaliste dans l’âme. C’est mon point de départ, ma rigueur. J’ai commencé à France Inter après mon service militaire, en m’occupant des questions aéronautiques et spatiales. J’avais la carte professionnelle 22615, je m’en souviens parfaitement ! Le journalisme m’a appris à écouter, à convaincre, à transmettre. À chercher le contact humain. C’est ce que je fais encore aujourd’hui : raconter, exposer, faire connaître. Et puis être agent, c’était aussi une aventure extraordinaire. J’ai accompagné de grands talents comme Annie Girardot, Michel Serrault, Michel Blanc et Didier Decoin. Mais la fibre journalistique est toujours là.
Et la fiction française parvient à rivaliser avec les séries anglo-saxonnes…
Oui, absolument. Il y a aujourd’hui une appétence internationale pour nos créations. Le cinéma français rayonne depuis longtemps avec plus de 200 films par an. Et la télévision, elle aussi, est devenue un espace de création riche et diversifié. On ne voyait pas ça il y a quelques années. C’est une belle évolution.