Ingérences numériques: l’ombre russe derrière des vidéos de menaces jihadistes

Ingérences numériques: l’ombre russe derrière des vidéos de menaces jihadistes

Drapeau tricolore déchiré, maquette de Notre-Dame de Paris en flammes, Marianne décapitée : depuis plusieurs mois, des vidéos menaçantes se propagent en ligne. Derrière des contenus d’apparence jihadiste et un style rudimentaire, des experts voient la marque d’une opération d’acteurs prorusses. La plus récente de ces vidéos a été publiée le 14 septembre : elle montre 3 hommes encagoulés, devant un mur orné d’un drapeau palestinien. Ils accusent le gouvernement français de corruption et promettent de faire du pays un «État islamique» avant de déchirer un drapeau tricolore. Rapidement partagée sur les réseaux sociaux par des relais habituels de contenus extrémistes ou conspirationnistes, la séquence est utilisée pour alimenter un discours anti-migrants et anti-musulmans. Sur la forme comme sur le fond, cette vidéo en rappelle de précédentes, usant de mêmes décors minimalistes et de menaces explicites contre des symboles de la France. En juillet 2024, une séquence avait ainsi montré la figure de Marianne décapitée et une menace directe contre les JO de Paris, attribuée à de prétendus membres du Hamas. En janvier, puis à nouveau début septembre 2025, c’est une vidéo mettant en scène de prétendus islamistes syriens menaçant de brûler Notre-Dame de Paris qui a largement circulé. Selon une source gouvernementale, l’ensemble de ces contenus relèvent d’un même «mode opératoire informationnel» russe, nommé Storm-1516 et actif depuis août 2023. Avec pour principale caractéristique de cibler l’Ukraine ou les pays apportant leur soutien à Kiev, en exacerbant les tensions en leur sein. Viginum, le service français de lutte contre les ingérences numériques, a récemment répertorié quelque 80 opérations partageant les caractéristiques de Storm-1516. Le schéma est souvent le même : production rapide, rudimentaire et anonyme, diffusion via des comptes secondaires, puis amplification par des influenceurs alignés ou rémunérés. Les vidéos de prétendues menaces islamistes visent «des symboles simples et compris de tous. Les attaquer suscite une réaction émotionnelle plus forte, notamment chez les identitaires», explique Laurence Bindner, cofondatrice de JOS Project, structure d’analyse de la propagande extrémiste violente et des discours radicaux. Pour l’experte, l’objectif est de réactiver la peur du terrorisme jihadiste, en alimentant la crainte d’un conflit de civilisation et en capitalisant sur les tensions liées au conflit entre Israël et le Hamas pour accentuer les divisions intercommunautaires en France. Selon le professeur Darren L. Linvill, spécialiste de la désinformation, ces récits «s’appuient sur des clichés racistes et diffusent la colère et la division». Avec une méthode éprouvée: «D’abord, des influenceurs payés. Ensuite, la reprise dans des médias d’État russes ou étrangers. Enfin, des think tanks ou ONG liés au Kremlin». L’objectif est aussi interne, souligne le chercheur : consolider le pouvoir du président russe, Vladimir Poutine. «Plus il parvient à présenter l’Occident comme divisé et incompétent aux yeux de son peuple, moins celui-ci remettra en cause son autorité». Et sur les réseaux sociaux des pays occidentaux, même quand des internautes soupçonnent des séquences manipulées, c’est plus souvent vers Israël que vers la Russie que semblent porter les soupçons. «Réalisation Tel-Aviv production», peut-on par exemple lire en commentaires sous les publications de ces vidéos. Une image vraisemblablement générée par IA, dans laquelle on voit les 3 hommes encagoulés entourés de drapeaux israéliens et de caméras, circule à l’appui de cette théorie. Pour Laurence Bindner, l’objectif n’est pas seulement de faire peur : ces vidéos exploitent les émotions et les réactions pour détourner l’attention. «Ils font un truc rudimentaire parce que c’est facile à produire, mais aussi parce que les réactions qui vont être charriées derrière vont pointer une mauvaise cible du doigt».

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