Brésil : la suspension de X donne des ailes à la concurrence

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Même le président Lula a sauté le pas: la suspension au Brésil du réseau social X a provoqué une migration en masse d’internautes vers des plateformes similaires comme Bluesky, où le portugais est devenue la langue la plus utilisée. Orphelin de X, qu’il utilisait depuis 2014, l’étudiant Leon Leal a pour sa part adopté Threads, lancé il y a un peu plus d’un an par le géant américain Meta, qui détient également Facebook et Instagram. «J’ai l’impression d’être entré dans une communauté plus accueillante et moins agressive, même si la sincérité qu’il y avait sur X me manque», raconte-t-il. L’accès à l’ancien Twitter a été bloqué le 30 août dans le plus grand pays d’Amérique latine, à l’issue d’un long bras de fer entre son propriétaire, le milliardaire américain Elon Musk, et Alexandre de Moraes, un juge de la Cour suprême brésilienne. Ce magistrat aussi puissant que controversé a ordonné cette sanction drastique après que X, qui comptait 22 millions d’usagers au Brésil (plus de 10% de la population), eut ignoré une série de décisions judiciaires liées à la lutte contre la désinformation. Depuis, Bluesky, réseau créé par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, a engrangé plus de 2 millions de nouveaux adeptes en quelques jours, alors qu’il en comptait moins de 6 millions avant la suspension de X, selon les chiffres fournis par l’entreprise. Et le nombre de recherches du terme «Threads» sur Google a été multiplié par 4 depuis le 30 août. Comme X, ces 2 plateformes permettent la publication instantanée de textes courts pouvant être illustrés par des images. Leurs applis figurent parmi les plus téléchargées au Brésil ces derniers jours. La migration vers Threads est un mouvement naturel dans un pays qui compte plus de 140 millions d’usagers d’Instagram, lesquels peuvent utiliser les mêmes identifiants et mots de passe pour y avoir accès. Le professeur Raul Nunes, qui avait créé son compte Twitter en 2007, a préféré se tourner vers Bluesky. «Bluesky a l’avantage d’avoir le même langage et les mêmes références que Twitter. Par contre, c’est dommage qu’il n’y ait pas de «trending topics» (classement des thèmes les plus abordés sur le réseau, ndlr) et qu’on ne puisse pas y publier de vidéos», commente-t-il. Au vu de l’incertitude sur le sort de X, il est encore trop tôt pour savoir si cette migration aura des effets durables sur le paysage des réseaux sociaux au Brésil, un pays ultra-connecté qui compte plus de smartphones que d’habitants. Pour Viktor Chagas, professeur d’études culturelles et des médias à l’Université fédérale Fluminense (UFF), les Brésiliens se tournent vers des réseaux sociaux qui ressemblent à X pour continuer à prendre part au débat public dans leur pays, mais aussi pour rester connectés avec les tendances venues d’ailleurs. Mais le fait que ces autres plateformes aient une base d’usagers beaucoup moins importante au niveau mondial «peut représenter un certain isolement pour le Brésil», prévient-il. Leon Leal dit par exemple avoir du mal à retrouver sur Bluesky les profils de personnalités qu’il suivait sur X. Et pour ce qui est de Threads «le nombre d’usagers au niveau mondial est plus élevé, en raison du lien avec Instagram, mais il suscite plus de méfiance car il appartient au groupe Meta», analyse le professeur Chagas. Au Brésil où X s’était imposé en arène privilégiée d’un débat ultra-polarisé, des personnalités politiques ont commencé à se tourner vers d’autres plateformes. Le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, qui n’utilisait ni Threads ni Bluesky il y a encore quelques mois, s’est mis à y publier des messages régulièrement, comme il le faisait sur X auparavant. Mais il reste quelques irréductibles, comme son prédécesseur d’extrême droite Jair Bolsonaro, fervent admirateur d’Elon Musk, qui n’a toujours pas de compte sur Bluesky et utilise Threads pour promouvoir son compte sur la messagerie Telegram.