Droits TV de la C1: des diffuseurs dans la tourmente

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Dans un climat incertain, les diffuseurs sportifs se disputent mercredi les droits télévisés français de la Ligue des champions pour la période 2021-2024, un appel d’offres essentiel mais risqué pour des chaînes financièrement instables et stratégiquement peu lisibles. Le candidat sortant RMC Sport, l’endetté beIN Sports, le déçu Canal +, le nouveau venu Mediapro : 4 groupes, 4 stratégies…Difficile de définir les contours du jeu de dupes ayant lieu depuis plusieurs mois dans les coulisses du paysage audiovisuel footballistique. Celui-ci doit prendre fin mercredi, date limite imposée par l’UEFA aux entreprises intéressées par l’achat des droits français des futures éditions des compétitions européennes de clubs, C1 en tête. En proposant quelque 370 millions d’euros annuels entre 2018 et 2021, soit plus du double de ce que versaient beIN et Canal sur la période précédente, le groupe Altice, via son opérateur SFR et ses chaînes RMC Sport, avait frappé un grand coup pour son arrivée sur le marché. Les acteurs iront-ils encore plus loin dans les dépenses, au détriment des objectifs de rentabilité? «On est dans une période charnière, il va très certainement y avoir des dégâts», estime Christophe Lepetit, économiste du sport au Centre de droit et d’économie du sport (CDES). «Dans un marché à 4 acteurs, c’est extrêmement compliqué de coexister». Au Royaume-Uni, les droits ont été attribués pour un montant stable il y a quelques jours – 400 millions de livres annuels (466 M EUR) pour BT Sport – alors même que le marché des diffuseurs sportifs payants y est moins dispersé, avec uniquement 2 leaders (BT et Sky). Ce qui laisse à penser qu’en France, «à périmètre constant, on s’approche du plafond», selon M. Lepetit, «surtout dans le contexte actuel d’un piratage assez massif» des contenus qui sape 10 à 20% de l’audience des retransmissions sportives, selon une étude de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle en 2018. Altice perdrait gros s’il ne poursuit pas l’expérience avec son produit phare, d’autant que son offre de lancement l’année dernière a souffert de dysfonctionnements techniques. L’opération suscite toutefois des doutes, en raison de l’audience – 2 millions d’abonnés revendiqués sur RMC Sport, contre 3,2 chez beIN fin 2018 -, et du manque d’accords de distribution – seuls les abonnés SFR ou Canal Satellite y ont accès (hors offre digitale). Mais Altice fait valoir que la Ligue des champions est un puissant adjuvant commercial pour SFR. De son côté, Canal + ne dit rien de ses intentions. La chaine cryptée, en plein plan de 500 suppressions d’emplois, continue de voir s’éroder le nombre d’abonnés en France (4,583 millions d’abonnés directs revendiqués au premier semestre, un recul de 209.000 abonnés en un an). Après avoir perdu ses droits historiques sur le Championnat de France, revenus pour 2020-24 en grande partie à Mediapro (et en plus petite à beIN) pour 1,153 milliard d’euros annuel, tentera-t-elle de se relancer ? «C’est presque un tournant. Soit il y va, et l’obtient, soit il fait le choix de ne pas y aller et passera d’un producteur à un distributeur», explique M. Lepetit.En effet, Canal + distribue déjà RMC Sport et beIN Sports et peut glisser vers ce modèle en négociant de nouveaux accords de distribution à des coûts inférieurs à ceux de l’appel d’offre. Chez beIN, où les pertes fiscales s’accumulent, on joue la carte du pessimisme. «L’augmentation sans fin des droits sportifs est terminée», a lancé Youssef Al-Obaidly, le DG du groupe. Néanmoins, ses offres crédibles sur l’appel d’offres de la Ligue 1 peuvent indiquer un appétit intact. Enfin, Mediapro interroge. Le producteur catalan continue à affirmer qu’il souhaite lancer une chaîne dédiée au foot et séduire au moins 4 millions d’abonnés, mais son catalogue reste maigre pour un prix d’abonnement supérieur à la moyenne. «On y verra plus clair sur leur stratégie», estime M. Lepetit.