Espagne : les «terres rares» suscitent convoitise et crispations

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Bras-de-fer judiciaire, embarras politique et projets moribonds: en Espagne, la présence attestée de «terres rares» suscite des crispations entre industriels et défenseurs de l’environnement, opposés à l’extraction de ces minerais très convoités par le secteur des hautes technologies. «Opportunité à ne pas rater» ou «piège» à éviter? Depuis la découverte voilà quelques années de gisements jugés prometteurs dans le sud et le nord-ouest du pays, l’Espagne peine à répondre à ce dilemme, qui mêle enjeux économiques, diplomatiques et environnementaux.Le pays, selon les géologues, dispose de quantités non négligeables de «terres rares» – expression désignant 17 métaux, exploités sous forme de minerais, indispensables à la fabrication des smartphones, moteurs de voitures électriques et autres turbines éoliennes. Mais ces filons demeurent jusqu’à présent inexploités. «L’Espagne est le pays disposant de la plus grande quantité de terres rares en Europe après la Finlande. Il y a un vrai potentiel», assure Vicente Gutiérrez Peinador, président de la Confédération nationale des entreprises minières et de métallurgie (Confedem). D’après l’Institut géologique et minier d’Espagne (IGME), les réserves sur le territoire espagnol sont évaluées à 70.000 tonnes. «Au niveau mondial c’est peu, mais à l’échelle européenne c’est important», souligne Roberto Martinez, responsable des ressources minérales au sein de cet institut. De quoi susciter des convoitises, alors que la demande mondiale pour ces minerais jugés indispensables à la transition énergétique ne cesse de grandir. «C’est une opportunité pour l’Espagne», mais aussi «pour l’Europe», insiste Vicente Gutiérrez Peinador. Actuellement, 98% des terres rares utilisées dans l’UE sont importées de Chine, qui dispose d’un quasi-monopole dans le secteur. Une dépendance jugée inquiétante par Bruxelles, qui a exhorté récemment les États membres à «développer» leurs «propres capacités d’extraction».Néodyme, scandium, praséodyme… Dans ce contexte, les minerais du sous-sol espagnol attirent l’attention. «Deux sites en particulier sont jugés intéressants: l’un au Monte Galiñeiro, en Galice» et l’autre dans la province de «Ciudad Real», dans la région de Castille-la-Manche, explique Roberto Martinez. Sur ces deux gisements, seul celui de Ciudad Real a fait l’objet – à ce stade – d’une demande d’exploitation. Le site, baptisé «Matamulas» et qui s’étend sur un terrain de 240 hectares, est notamment riche en monazyte, un minerai recherché pour ses qualités magnétiques. Le projet est toutefois bloqué: la région a refusé en 2019 le permis d’exploitation déposé par Quantum Mineria, société basée à Madrid, après un avis négatif de l’administration concernant son impact environnemental. «Ce gisement se trouve dans un zone de grande valeur environnementale», entre «deux aires protégées», explique Elena Solis, coordinatrice pour les sujets miniers de l’ONG Ecologistas en accion, mobilisée depuis plusieurs années contre ce projet, décrit comme «dangereux». Il suppose de «déplacer une quantité de terre astronomique, ce qui ferait peser un risque sur toute la zone», insiste Mme Solis, qui souligne également «l’énorme quantité d’eau» nécessaire à cette exploitation et le risque de pollution par des poussières toxiques, voire radioactives. Ces arguments sont rejetés par l’entreprise, qui a introduit un recours judiciaire. Le refus du permis «est incompréhensible» car «on se trouve sur un territoire jugé apte à l’exploitation minière» par l’administration, s’agace Enrique Burkhalter, directeur de projets de Quantum Mineria, dénonçant des «craintes non fondées». Selon l’entreprise, l’extraction se ferait en surface, via une technique limitant le risque de poussières toxiques: la terre serait transportée par camion jusqu’à une usine, puis tamisée et enfin remise sur site, une fois les minéraux enlevés.