Israël : effet boomerang du logiciel espion Pegasus

L’utilisation du logiciel israélien de cyberespionnage Pegasus est au centre d’une controverse dans plusieurs pays. Mais aujourd’hui, cette technologie a un effet boomerang en Israël avec des soupçons d’espionnage de personnalités locales. En juillet 2021, un consortium de médias internationaux a révélé que les numéros d’au moins 180 journalistes, 600 hommes et femmes politiques, 85 militants des droits humains ou encore 65 chefs d’entreprise avaient été espionnés via le logiciel Pegasus de la société privée NSO, qui est considéré comme une «arme» par la défense israélienne. En effet, l’exportation de ce logiciel nécessite l’accord de l’Agence de contrôle des exportations militaires (DECA), qui autorise la vente à des gouvernements étrangers – pas à des entreprises ou des particuliers – de cette technologie permettant d’accéder aux données d’un smartphone, voire de prendre le contrôle de la caméra ou du micro. La firme NSO répète depuis ces révélations avoir obtenu les licences pour exporter son logiciel et que ce dernier, destiné au contreterrorisme et à la lutte contre la criminalité, pourrait avoir été «détourné» de son usage par certains clients. Depuis la mi-janvier, la presse israélienne, et en particulier le quotidien économique «Calcalist», a fait état d’un usage de ce logiciel espion non seulement à l’étranger mais aussi en Israël, et ce sans que la police n’obtienne de mandat pour prendre le contrôle à distance du smartphone de citoyens israéliens. Alors que les ventes de Pegasus «se multipliaient à l’étranger, il y a eu une sorte de normalisation de son usage de la part du gouvernement israélien», déclare Eitay Mack, un avocat israélien qui tente de faire réguler l’usage de Pegasus en Israël. Lundi, le journal «Calcalist» a publié des noms de personnalités parmi lesquelles de nombreuses personnes au coeur du procès pour corruption de l’ex-Premier ministre Benjamin Netanyahu, dont les téléphones auraient été infiltrés sans mandat. «Après avoir lu Calcalist, nous avons commencé à nous dire que ce pays n’était peut-être pas démocratique», a écrit mardi la chroniqueuse politique Sima Kadmon dans les colonnes du «Yediot Aharonoth», titre le plus vendu de la presse israélienne: «Si l’Etat fonctionne véritablement ainsi (…) nous sommes véritablement comme dans la Roumanie de Ceausescu ou le Chili de Pinochet». Dès lundi, le ministre de la Sécurité publique, Omer Bar-Lev, a appelé à la création d’une «commission d’enquête gouvernementale» sur l’usage sans mandat d’outils de cybersurveillance. Le Premier ministre, Naftali Bennett, a lui promis «une réponse» de son gouvernement, et M. Netanyahu a réclamé la création d’une «commission d’enquête indépendante». Selon des informations de presse, Pegasus a été exporté et utilisé sans mandat alors que ce dernier était au pouvoir. Mais ces informations soulignent aussi que l’un des fils de M. Netanyahu, Avner, a fait l’objet de piratage, tout comme des protagonistes présumés de «l’affaire 4.000», aussi appelée le dossier «Bezeq». Dans cette affaire, M. Netanyahu est accusé d’avoir tenté il y a quelques années de s’assurer une couverture favorable par le site d’informations Walla. En contrepartie, il aurait octroyé des faveurs gouvernementales qui pourraient avoir rapporté des millions de dollars à Shaul Elovitch, alors patron du groupe de télécoms israélien Bezeq, dont fait partie Walla. Or d’après la presse israélienne, les smartphones de 2 anciens directeurs généraux du ministère des Communications – et témoins du procureur dans cette affaire -, des dirigeants de Bezeq et des patrons, ainsi que des journalistes du site Walla, ont été infiltrés sans mandat par Pegasus. Une commission d’enquête pourrait écorcher à terme la police, voire M. Netanyahu lui-même, car il était au pouvoir lors de cette traque présumée, mais aussi faire dérailler son procès pour corruption en remettant potentiellement en cause la légalité de l’accumulation de preuves contre lui.