TikTok Shop suscite déjà l’intérêt d’une large partie des utilisateurs. Selon une étude exclusive de Discurv, 42% des Français connaissent la fonctionnalité et 36% se déclarent prêts à y réaliser des achats. Jérôme LABBÉ, Directeur Général de Discurv, analyse pour nous les premiers enseignements de cette percée et les enjeux stratégiques qu’elle pose pour les marques et les médias.
TikTok Shop marque déjà les esprits. Quels sont les leviers médias qui vont contribuer à cette adoption rapide ?
Attention, il faut rester prudent : pour l’instant, on mesure surtout une intention. Nous avons interrogé un échantillon représentatif de la population française de 18 ans et plus, et 42% déclarent avoir entendu parler de TikTok Shop. Quand on leur demande s’ils seraient prêts à acheter via la plateforme, un tiers répond favorablement. C’est énorme : cela correspond en volume à la totalité des utilisateurs français de TikTok, soit environ 25 millions de personnes. TikTok débarque donc sur un terrain qui n’est pas conquis, mais clairement disposé à accueillir cette nouvelle fonctionnalité.
Comment TikTok redéfinit-il aujourd’hui le lien entre contenu, publicité et achat ?
TikTok propose de la publicité depuis longtemps, basée sur une observation fine du comportement utilisateur : combien de secondes passées sur un contenu, quel type de contenu consulté, etc. Avec TikTok Shop, ils vont encore plus loin : ils s’appuient sur ces données pour pousser des contenus — souvent portés par des influenceurs — qui correspondent parfaitement aux centres d’intérêt de l’utilisateur. L’objectif n’est plus de l’influencer à moyen terme, mais de déclencher immédiatement un achat d’impulsion. C’est une bascule énorme dans la manière d’articuler contenu, influence et commerce.
Les marques doivent-elles alors repenser totalement leur stratégie ?
Oui, totalement. TikTok leur propose plusieurs environnements pour vendre, mais le plus populaire reste le live shopping : un influenceur présente un produit en direct, l’utilisateur clique, et en un instant, la commande est faite. En 2022, TikTok avait tenté de lancer ce modèle au Royaume-Uni sans grand succès, pour des raisons juridiques mais aussi parce que les utilisateurs et influenceurs n’étaient pas encore prêts. Aujourd’hui, la donne a changé : aux États-Unis, par exemple, 47 millions d’utilisateurs ont déjà acheté via TikTok Shop. Lors du dernier Black Friday, la plateforme y a généré environ 135 millions de dollars de ventes. Au Royaume-Uni, TikTok Shop enregistre désormais 6.000 sessions de live shopping chaque jour. C’est donc une transformation en profondeur qui oblige les marques à être beaucoup plus réactives et connectées aux nouveaux usages.
Votre étude montre que la confiance envers les influenceurs recule. Quelle en est la cause, et quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur TikTok Shop ?
C’est un point clé. Oui, il existe une vraie prise de recul vis-à-vis des influenceurs, notamment après les polémiques autour des «influvoleurs». Avec TikTok Shop, la tentation est forte pour eux de multiplier les sessions de live shopping. Le risque, c’est une saturation : un «ras-le-bol» des utilisateurs. En parallèle, on suspecte TikTok de booster artificiellement la visibilité de ces contenus. Certains influenceurs expliquent qu’une simple vidéo de live shopping leur apporte soudain 1,5 million de vues, contre à peine 1.000 auparavant. Il y a d’ailleurs des enquêtes ouvertes à Bruxelles sur l’algorithme de TikTok. La plateforme a aussi investi lourdement pour former les influenceurs, parfois en faisant venir des formateurs de Douyin (la version chinoise de TikTok) pour les former aux meilleures pratiques du live shopping, notamment aux États-Unis.
Les 50 ans et plus commencent aussi à s’intéresser à TikTok Shop. Est-ce réellement le cas ?
Oui, toutes proportions gardées. On a tendance à croire que TikTok est réservé aux 12-17 ans, mais notre étude montre que 32% des 50 ans et plus connaissent TikTok Shop, et 24% seraient prêts à y acheter. C’est significatif : même si la dynamique est portée par les jeunes, les générations plus âgées ne sont pas à l’écart. Peut-être sont-elles d’ailleurs plus réceptives au format, car déjà familières du téléachat classique.
Quels secteurs médias pourraient utiliser TikTok Shop comme levier direct de monétisation ?
Si l’on regarde l’exemple américain, la marque la plus populaire sur TikTok est Netflix. Il y a donc forcément des opportunités pour les acteurs de l’entertainment et des médias.
Sur TikTok Shop, quels formats média vous semblent aujourd’hui les plus prometteurs ?
C’est très clair : ce sont les vidéos courtes, au format TikTok. Les contenus qui fonctionnent par exemple très bien sont les «unboxings» — des déballages de produits en direct devant l’audience — ainsi que toutes les vidéos natives à la plateforme, rapides et engageantes.
Pensez-vous que d’autres plateformes vont suivre TikTok en intégrant un shop direct dans le contenu ?
Si TikTok Shop fonctionne vraiment, il est évident que d’autres plateformes vont suivre. Déjà en 2022, Facebook avait tenté de s’y lancer sans succès. Aujourd’hui, TikTok semble avoir mis toutes les chances de son côté : formations massives d’influenceurs, investissements dans l’algorithme… Ils se sont inspirés de leur propre succès en Chine avec Douyin, où le live shopping est déjà omniprésent. Si cette fois-ci la greffe prend durablement aux États-Unis et en Europe, il y a fort à parier que d’autres acteurs tenteront de proposer une expérience similaire.