Kickstarter ouvre la voie aux syndicats dans le secteur américain des technologies

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Les salariés de Kickstarter, une plateforme de financement participatif, ont fondé un syndicat considéré comme le 1er du genre dans le secteur américain des technologies, et qui donne de l’espoir à de nombreux employés dont la parole semble souvent étouffée par leur direction. «Le chemin a été long, mais maintenant le vrai travail commence!», s’est félicité Kickstarter United sur Twitter mardi. Cela faisait des mois que plusieurs salariés de cette entreprise new-yorkaise bataillaient pour obtenir ce droit, pourtant reconnu par la loi américaine. Ils n’ont pas manqué de soutien: en septembre, une pétition avait circulé pour demander à Kickstarter de soutenir la syndicalisation et de «réembaucher les 3 syndicalistes virés». Elle avait été signée par plus de 800 utilisateurs de la plateforme. Et cette «victoire» promet d’avoir un retentissement beaucoup plus large. «Je félicite le personnel de Kickstarter, la 1ère entreprise majeure de la tech à voter en faveur d’un syndicat», a réagi sur Twitter le sénateur socialiste Bernie Sanders, candidat à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine. «Les employés de la tech méritent la sécurité de l’emploi, des salaires conséquents et des prestations sociales, et une voix dans leur entreprise», a-t-il ajouté. Le syndicat Kickstarter United sera affilié à l’OPEIU (Office and Professional Employees International Union), qui a adopté l’année dernière une résolution pour organiser le secteur. «Les ingénieurs, les graphistes, les développeurs et tous les autres veulent obtenir le droit de négocier leurs conditions de travail», affirme-t-il. Le personnel des groupes technologiques américains a-t-il besoin de se syndicaliser, alors que cette main-d’oeuvre est généralement bien payée, par rapport à d’autres industries? Cette question revient régulièrement dans les débats en ligne sur l’absence de syndicats dans la tech. «Les écarts de salaires ont dramatiquement augmenté ces 20 dernières années», constate l’analyste Rob Enderle. «Ceux d’en bas sont traités comme des esclaves (…) Et même quand les gens sont bien payés, les entreprises les tuent à la tâche». «Les ressources humaines ont arrêté de s’occuper des employés et se sont concentrées sur des questions légales, comme de s’assurer que tel licenciement était autorisé», ajoute-t-il. «Parfois, il s’agit de paye et de journées trop longues, mais souvent ce sont d’autres sujets qui préoccupent ces salariés, comme le harcèlement sexuel et les discriminations», remarque Steve Smith, directeur de la communication pour la California Labor Federation, qui comprend plus de 1.200 syndicats. Les accusations de sexisme et de harcèlement au travail ont en effet secoué des groupes majeurs ces dernières années. Le cofondateur d’Uber, Travis Kalanick, a ainsi été poussé vers la sortie en 2017 après que des contentieux de ce type ont éclaté. En novembre 2018, des milliers d’employés de Google avaient observé un arrêt de travail dans différentes villes du monde pour dénoncer la gestion du harcèlement sexuel au sein de l’entreprise. Après le licenciement controversé de 4 salariés cet automne, un groupe d’employés du géant californien a dénoncé des mesures d’intimidation et le recours à une société extérieure pour empêcher la syndicalisation. Une technique répandue, selon Steve Smith. Les contrats comportent souvent une «clause d’arbitrage forcé», qui contraint le personnel à s’adresser aux ressources humaines plutôt qu’à un tribunal en cas d’abus. «Il y a aussi la peur des représailles, qui existe toujours. Mais les projecteurs sont de plus en plus braqués sur les problèmes qui existent dans la tech, et cela encourage les employés à s’exprimer», assure M. Smith. La percée de Kickstarter «montre aux autres que c’est possible de monter un syndicat», estime Rob Enderle. «Google et Amazon, notamment, sont susceptibles de les imiter».