La censure des réseaux sociaux au Pakistan, destinée à étouffer la contestation déclenchée par l’arrestation de l’ex-Premier ministre Imran Khan, contribue en réalité à la renforcer, estiment des experts. Il s’agit d’une «erreur de calcul grossière» des autorités, observe Shahzad Ahmad, directeur de l’organisation Bytes for All qui défend les droits en ligne. «Cela ne peut que jouer en leur défaveur», ajoute-t-il. Peu de temps après l’arrestation mardi de M. Khan alors qu’il était entendu par un tribunal d’Islamabad dans une affaire de corruption, le ministère de l’Intérieur a restreint l’accès à Twitter, Facebook et YouTube dans tout le pays. L’accès aux données mobiles a été coupé. Un élément essentiel pour accéder aux applis de messagerie mais aussi pour l’économie, puisqu’il permet aux terminaux de paiement par carte bancaire de fonctionner. Des utilisateurs ont toutefois réussi à contourner les blocages et inondé les réseaux sociaux d’appels à manifester ainsi que de vidéos d’affrontements entre la police et les milliers de soutiens de M. Khan. Jeudi, la Cour suprême a jugé son arrestation «invalide et illégale» mais les troubles se sont poursuivis, tout comme les restrictions concernant internet. L’homme politique s’est ensuite vu accorder vendredi la liberté sous caution par un tribunal d’Islamabad. Le coût quotidien de la mesure est estimé à 53 millions de dollars (49 millions d’euros), selon l’organisme de surveillance d’internet NetBlocks. Ces dernières années, l’utilisation croissante d’internet et des réseaux sociaux a été favorisée par l’accès généralisé aux smartphones bon marché. Le nombre d’abonnés au haut débit mobile est passé de 56 millions à 116 millions – soit près de la moitié du pays – entre 2018 et 2022, selon le régulateur des télécoms. Les autorités qui ont décidé du blocage sont des «dinosaures» qui «n’ont aucune idée de la rapidité avec laquelle les choses évoluent», lance M. Ahmad. Internet a été censuré à plusieurs reprises au Pakistan ces dernières décennies, y compris sous le gouvernement de M. Khan. Selon M. Ahmad, les jeunes citoyens technophiles utilisent des VPN (réseaux virtuels privés) pour dissimuler leur localisation et contourner les restrictions. En dépit du blocage, Twitter «était encore très actif dans le pays parce que des gens avaient préparé leur VPN», ajoute-t-il. La coupure des données mobiles ne peut cependant pas être contournée de cette façon. A Peshawar, les militants du parti Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) de l’ex-Premier ministre s’attendaient à «une coupure complète» d’internet et ont ainsi transféré des images filmées au téléphone sur des ordinateurs équipés d’une connexion internet filaire et de VPN, explique Ikram Khan, 31 ans, soutien du PTI. «Nous avons quand même bien fait notre travail (…) Nous savons comment gérer la situation». Imran Khan est arrivé au pouvoir en 2018 en se présentant comme un outsider, profitant d’un inédit élan d’enthousiasme sur les réseaux sociaux. Il a finalement été destitué en avril 2022 par une motion de censure après avoir perdu le soutien des militaires, qui l’avaient appuyé en sous-main lors de son accession au poste de Premier ministre. A la tête du PTI dans l’opposition, il jouit toujours d’une remarquable popularité et accuse les partis politiques et l’armée de se liguer pour l’écarter du pouvoir, l’emprisonner et même l’assassiner. Bloquer les réseaux sociaux ne peut que nourrir le discours du PTI, selon le militant des droits numériques Usama Khilji. «Cela renforce leur popularité parce que cela est perçu comme une mesure de restriction des droits fondamentaux des citoyens». Pour Rimmel Mohydin d’Amnesty International, «la censure d’internet est une violation manifeste des droits humains», explique-t-elle, et cela peut «faciliter d’autres violations (…) notamment en empêchant de documenter l’usage illégal de la force».