Les grands journaux d’Amérique latine, étranglés financièrement par la migration vers le Web de leur lectorat et des annonceurs, parient de plus en plus sur des modèles d’abonnement payant ouvrant l’accès à leur contenu numérique. Entrainés par les réseaux sociaux dans une course folle aux «clics» et aux «likes», ces médias ont été contraints de mettre en péril leur crédibilité et la pertinence de leurs contenus pour conserver leurs lecteurs. «Les grands médias traditionnels s’appuyaient sur des structures souvent désuètes, mais soutenues par une entreprise extrêmement prospère et rentable. Mais ce temps est révolu», résume Diego Salazar, journaliste péruvien. Quant à l’ancien modèle de publicité et d’annonces imprimées qui, pendant des décennies, convenait aux grands médias et aux journaux plus modestes, il a été submergé par les plateformes numériques. Avec des salles de rédaction amputées par des licenciements et des réductions drastiques des coûts, les journaux cherchent à s’adapter avec un objectif commun : faire payer les consommateurs pour un journalisme de qualité. En «Amérique latine, il y a des gens en demande d’une information de qualité et qui peuvent payer en échange. Je suis optimiste. Il y a un public pour les abonnements», estime Jan Martinez Ahrens, directeur de «El País America», d’origine espagnole mais qui distribue des éditions au Mexique et au Brésil, ainsi qu’une version régionale. Pour Diego Morales, un programmeur informatique de 49 ans qui vit à Mexico, payer est problématique. «En nous faisant payer, ils limitent notre accès à l’information», déplore ce lecteur régulier du quotidien mexicain centenaire «El Universal» qui ne souhaite pas souscrire un abonnement. Eduardo Garcés, DG du quotidien colombien «El Espectador», payant depuis mars 2018, estime que le public augmentera lorsqu’il s’habituera «à payer pour des contenus fiables comme il le fait déjà pour la musique et le divertissement». En Colombie, neuf personnes sur dix consomment des informations en ligne, mais seulement 15 % d’entre elles sont prêtes à payer un abonnement pour avoir des informations gratuites sur les réseaux, selon une enquête Luminate citée par le portail La Silla Vacía. La situation est similaire dans d’autres pays de la région. «Notre défi est de faire comprendre au commun des mortels (…) qu’une information soignée, véridique, vérifiable et même bien présentée est précieuse», déclare Mario Dorantes, directeur adjoint chargé du contenu chez El Universal.Mais la tentation d’augmenter le nombre de «clics» et d’accéder au public le plus large possible a érodé la qualité de l’information. Sexe, sensationnalisme ou recyclage de vidéos virales diffusées sur les réseaux sociaux font désormais partie des ressources courantes, y compris pour les médias dits «sérieux». «Dans cette course au clic (…) nombreux sont les médias dont le prestige a chuté», constate Salazar. «Si vous devez me convaincre désespérément que le produit que vous fabriquez vaut la peine d’être payé, c’est que ce n’est pas une évidence», ajoute-t-il. À la crise du modèle économique s’ajoute une méfiance croissante à l’égard de la presse, un phénomène mesuré par des institutions spécialisées telles que l’Institut Reuters. La solution, selon les personnes interrogées, est d’insister sur un journalisme qui se focalise sur les lecteurs. «Je préfère répondre à un lecteur qui est en colère à cause de la mauvaise qualité d’un article ou qui pense que nous nous sommes écartés de nos objectifs plutôt que de dépendre de Google et de son algorithme, c’est fondamental», déclare Martínez Ahrens d’«El Pais». Bien que les abonnements aient augmenté dans le monde entier, la plupart des gens sont toujours satisfaits des informations gratuites, avec un pourcentage élevé d’entre eux – 40% aux Etats-Unis, 50% en Grande-Bretagne -, selon l’Institut Reuters.
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