Les artistes unis contre l’intelligence artificielle

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Futuristic design of an Artificial Intelligence brain with futuristic hud elements. Abstract glowing colorful digital brain with circuit background. AI and technology concept. (Futuristic design of an Artificial Intelligence brain with futuristic hud

Des années de pratique, des heures minutieuses de travail pour les humains, contre quelques secondes pour la machine qui a avalé et digéré leurs oeuvres: l’intelligence artificielle (IA) désespère les artistes, mais ils n’ont pas dit leur dernier mot, sur internet ou au tribunal. L’été dernier, ils ont découvert avec effroi que des programmes d’IA dite «générative» pouvaient désormais produire, sur simple requête, un dessin de chien «comme Sarah Andersen» ou une image de nymphe «façon Karla Ortiz». Une appropriation sans que les intéressés n’aient donné leur consentement, soient crédités ou compensés financièrement, les 3 «C» au coeur de leur bataille. En janvier, des artistes ont collectivement porté plainte contre Midjourney, Stable Diffusion et DreamUp, 3 modèles d’IA formés grâce à des milliards d’images récoltées sur internet. Sarah Andersen, l’une des principales plaignantes, s’est sentie «intimement lésée» quand elle a vu un dessin généré avec son nom, dans le style de sa BD «Fangs». Sa réaction indignée sur Twitter a été largement relayée, puis d’autres artistes l’ont contactée. «Nous espérons créer un précédent judiciaire et forcer les entreprises spécialisées dans I’IA à respecter des règles», indique-t-elle. Les artistes veulent notamment pouvoir accepter ou refuser que leurs oeuvres soient utilisées par un modèle – et non devoir demander leur retrait, même quand c’est possible. Dans ces conditions, on pourrait imaginer un «système de licences, mais seulement si les commissions sont suffisantes pour en vivre», note Karla Ortiz, une autre plaignante. Pas question «de recevoir des centimes pendant que l’entreprise empoche des millions», insiste cette illustratrice qui a notamment travaillé pour les studios Marvel. Sur les réseaux sociaux, des artistes racontent comment il ont perdu une grande partie de leurs contrats. Le musée Mauritshuis de La Haye expose en ce moment une image générée avec de l’IA pour un concours de création d’oeuvres inspirées par «La Jeune Fille à la perle» de Vermeer. Le Ballet de San Francisco a de son côté fait débat en utilisant Midjourney pour sa campagne de promotion de Casse-Noisette en décembre. «C’est facile et pas cher, alors même des institutions n’hésitent pas, même si ce n’est pas éthique», s’indigne Sarah Andersen.Emad Mostaque, le patron de Stability AI (Stable Diffusion), aime comparer ces programmes à de simples outils, comme Photoshop.Ils vont permettre «à des millions de personnes de devenir des artistes» et «créer des tonnes de nouveaux emplois créatifs» a-t-il affirmé, estimant qu’un usage «non éthique» ou «pour faire des choses illégales» est le «problème» des utilisateurs, pas de la technologie. Les entreprises vont se réclamer du concept juridique de «fair use» («usage raisonnable»), une sorte de clause d’exception aux droits d’auteur, explique le juriste et développeur Matthew Butterick. «Le mot magique, c’est «transformation». Est-ce que leur système propose quelque chose de nouveau? Ou est-ce qu’il remplace l’original sur le marché?», détaille le consultant. Avec le cabinet d’avocats Joseph Saveri, il représente les artistes, mais aussi des ingénieurs dans une autre plainte contre un logiciel de Microsoft, qui génère du code informatique. D’ici un lointain procès, et un dénouement incertain, la mobilisation s’organise aussi sur le terrain technologique. Appelé à la rescousse par des artistes, un laboratoire de l’université de Chicago a lancé la semaine dernière un logiciel permettant de publier des oeuvres en ligne en les protégeant contre les modèles d’IA. Baptisé «Glaze» («vernis»), le programme ajoute une couche de données sur l’image, invisible à l’oeil nu, qui «brouille les pistes», résume Shawn Shan, l’étudiant chargé du projet. L’initiative est accueillie avec enthousiasme, mais aussi scepticisme. «La responsabilité va revenir aux artistes d’adopter ces techniques», déplore Matthew Butterick.