Les démarches administratives passent désormais par Internet, excluant les plus éloignées du numérique

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Impôts, permis de conduire, allocations: nombre de démarches administratives passent désormais par Internet, excluant de fait les personnes les plus éloignées du numérique, qui attendent des candidats à la présidentielle qu’ils s’attaquent à cette fracture. «La dématérialisation présuppose que tout le monde a un ordinateur et sait s’en servir», expose Elodie Dénécheau, directrice de l’association Pimms Médiation de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Mais «c’est très, très loin d’être le cas», soupire la patronne d’une dizaine de médiateurs, spécialisés dans l’accompagnement numérique. Implantée dans le quartier (prioritaire) du Pavé-Neuf, l’association noiséenne accompagne chaque année 15.000 personnes, notamment celles qui peinent à réaliser leurs démarches en ligne. «L’administration c’est déjà compliqué, si en plus derrière il n’y a pas d’interlocuteur, c’est impossible», s’agace Cyril Leray. En cet après-midi maussade, l’homme aux cheveux grisonnants est venu dans les locaux de l’association pour obtenir une carte grise à son nom. Acheteur d’une voiture en octobre 2021, il en a alors reçu une, mais établie au nom de l’ancien propriétaire du véhicule. Malgré des appels répétés à la préfecture, il n’a pas réussi à obtenir d’aide pour rectifier la carte. Une critique émise également par la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui pointait mi-février un accroissement des réclamations liées aux services publics. En cause: «quasiment toujours un problème» lié à la dématérialisation ou à l’impossibilité pour l’usager d’échanger avec l’agent s’occupant de son dossier. Personnes précaires, étrangers ou personnes âgées sont les plus pénalisés. Comme ce couple de retraités que Salma Khaloui, médiatrice au Pimms depuis six ans, accueille dans son bureau. M. et Mme Gameiro s’étonnent de ne pas avoir perçu d’APL ce mois-ci. Ils ont d’abord frappé à la porte de la Caisse d’allocations familiales (Caf) pour trouver une explication. Mais «on a été mal accueillis», dit le retraité. Avec la pandémie de Covid-19, «beaucoup d’administrations se sont recentrées sur les situations les plus complexes», parfois au détriment de l’accueil du public, souligne Elodie Dénécheau. Un «Baromètre des services publics» publié en janvier par le cabinet d’études Kantar le confirme: à l’exception de la police et de la gendarmerie, où le contact physique reste privilégié, les échanges numériques avec les usagers dominent dans tous les autres domaines de l’administration. L’attribution du label France Services à l’association Pimms Médiation a contribué à y attirer ces publics éloignés de l’administration, observe-t-elle. Créé en 2019 par le gouvernement, ce label identifie quelque 2.000 lieux où les Français peuvent être aidés dans leurs démarches de service public par des conseillers dédiés.Djallal Herkat vient au Pimms pour la 1ère fois. «Ma voiture avait un souci, je l’ai vendue et j’ai envoyé tous les documents à la sous-préfecture» par courrier. «Malheureusement, la préfecture de Seine-Saint-Denis m’a renvoyé un courrier, comme quoi c’était pas bon. Il faut passer par le site de l’Agence nationale des titres sécurisés».Ce qu’il a fait, avant qu’un «bug» n’interrompe sa démarche: impossible pour lui de renseigner les coordonnées de l’acheteur de la voiture. «Une machine, ça marche ou ça ne marche pas, il n’y a rien entre les deux», regrette Cyril Leray. «A un moment, la machine a ses limites». Comment s’en sortent «des personnes âgées qui ne savent pas faire?», s’interroge Djallal Herkat. Les difficultés liées à la dématérialisation de l’administration ne touchent pas que les plus âgés, insiste Elodie Dénécheau. «Les jeunes savent aller sur Netflix, sur Minecraft, mais pas faire une démarche sur leur smartphone si ça concerne la CAF ou les impôts. Ce n’est pas du tout la même chose».