Les femmes journalistes de sport montent au créneau

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Besoin de prouver «dix fois plus» que leurs confrères, remarques sexistes, gestes déplacés, insultes, harcèlement… Des femmes journalistes de sport montent au créneau pour dénoncer les dérives d’un secteur majoritairement masculin, dans l’espoir de «changer les mentalités». Pour manifester leur ras-le-bol, elles ont dégoupillé deux grenades médiatiques: le documentaire «Je ne suis pas une salope, je suis journaliste» de Marie Portolano, ex-Canal+, doublée d’une tribune dimanche signée par une centaine de professionnelles pour dénoncer «l’infériorisation des femmes» dans les rédactions. Journalistes vues comme des plantes vertes sur les plateaux, attaquées sur les réseaux sociaux… Le documentaire met en lumière le traitement subi par les journalistes sportives, en particulier à la télé, même si la presse écrite et la radio ne sont pas épargnées par ces dérives. En témoigne l’enquête interne ouverte chez Radio France dans la foulée.La censure par Canal+ de séquences incriminant son chroniqueur vedette Pierre Ménès, confronté par Marie Portolano pour lui avoir soulevé la jupe devant le public du «Canal Football club» en 2016 et pour avoir embrassé de force la journaliste Isabelle Moreau, a suscité une vive polémique. Mais c’est l’«arbre qui cache la forêt», estime Tiffany Henne (ex-RMC Sport, L’Equipe TV, etc.), cofondatrice avec 5 consoeurs, dont Laurie Delhostal (Canal+), du collectif «Femmes journalistes de sport», à l’origine de la tribune. Son objectif ? Mieux protéger, valoriser et recenser les femmes, qui représentent seulement 10% des 3.000 journalistes sportifs, selon l’UFJS (union des journalistes de sport en France) et intervenir dans les écoles «pour déconstruire les préjugés». De 1ères secousses sont venues l’an dernier du témoignage de Clémentine Sarlat, ex-coprésentatrice de «Stade 2», attendue sur Amazon Prime en mai pour Roland Garros. Ses accusations de harcèlement moral avaient entraîné le licenciement de 3 salariés de France Télévisions, à l’issue d’une enquête interne, et poussé d’autres consoeurs à témoigner. C’est à ce moment que Sonia Dauger, ancienne journaliste sportive, réalise avoir connu le même sort. «Mais on n’en parlait pas parce qu’on est trop isolées», estime celle qui a depuis quitté le milieu, écoeurée par sa violence. Et de relater «des insultes très régulières» («morue, salope, connasse, pétasse») encaissées sans ciller entre 2001 et 2008 dans l’audiovisuel public et de mêmes humiliations chez Orange Sports pour finir en 2014 avec un climat «plus insidieux» chez Canal+. «Les remarques sexistes de la part de collègues c’est quand même assez rare», relate pour sa part Emmy Labaigs, passée par LCI, Eurosport, Canal+, «plus touchée par le syndrome de l’imposteur» et une remise en cause «insidieuse» de ses compétences par certains chefs… «On doit prouver dix fois plus que les hommes». A la télé, «quand une femme fait une erreur à l’antenne (…) le postulat de base c’est qu’elle ne connait pas alors que l’homme sait», reconnaît Géraldine Pons, directrice des sports d’Eurosport. D’autres évoquent la «condescendance» ressentie lorsqu’un collègue «bienveillant» leur explique les règles d’un sport qu’elles connaissent par coeur. «Même si personne ne remet en cause ma présence» à l’Equipe, «inconsciemment on se met une pression», explique la journaliste Syanie Dalmat. Dans sa tribune, le collectif aspire à ce que les journalistes sportives «soient plus nombreuses», parce «qu’être davantage dans les rédactions permettra, en partie, d’en finir avec le sexisme». Pour l’heure, «90% des CV» reçus sont «masculins», indique Géraldine Pons.En cause, selon elle, une «moindre appétence» des femmes pour le sport. Mais aussi, pour d’autres, l’autocensure et les contraintes liées au journalisme sportif, exigeant de travailler soir et week-end, avec de nombreux déplacements pour suivre les compétitions.