Loin des «deep fakes» sophistiqués, d’innombrables vidéos «low cost» inondent internet d’infox

La recette est simple: diaporamas, voix off robotique à la syntaxe hasardeuse, habillage imitant les chaînes d’info. Loin des «deep fakes» sophistiqués, d’innombrables vidéos «low cost» inondent internet d’infox, énième outil de la galaxie de la désinformation en ligne. «Mali-Russie : Voici à Quoi Ressemble la Base Militaire de la Société Privée Russe Wagner à Gossi» : plus de 35.000 vues pour cette vidéo de 7 minutes publiée le 1er novembre. Après un générique siglé «Africa24 Infos» type journal télévisé, le commentaire affirme qu’une base du groupe paramilitaire russe Wagner a été inaugurée au Mali. C’est faux. La vidéo utilise des photos sorties de leur contexte voire truquées, avec des drapeaux russes rajoutés sur le cliché d’une base française. Un clip fortement susceptible d’attiser les tensions autour d’un sujet explosif. Plusieurs pays, dont la France et les Etats-Unis, sont vent debout contre un possible recrutement de Wagner -accusé d’être à la solde du Kremlin et responsable d’exactions- par Bamako. Ce genre de vidéos sont légion en Afrique, même si on en retrouve un peu partout dans le monde. C’est «facile à fabriquer, à diffuser en masse», relève Sebastian Dieguez, spécialiste du complotisme à l’Université de Fribourg (Suisse). «Un peu comme pour les spams ou les arnaques, ça arrose le plus large possible», dit-il encore. C’est «très bon marché en termes de production», abonde Shyam Sundar, spécialiste des médias à l’Université d’Etat de Pennsylvanie (Etats-Unis) : ceux qui créent ces «fake news» n’ont besoin que d’un texte et d’un logiciel de synthèse vocale». Sans compter les logiciels de génération automatique de vidéos YouTube. Elles contiennent fréquemment des sous-titres à peine intelligibles, des incrustations ou des animations un peu kitsch. Beaucoup mélangent infox et vraies infos. Sans nécessairement relayer des éléments factuellement erronés, la plupart semblent à visée propagandiste. Comme «E_NewsH24», qui diffuse des vidéos sur l’actualité africaine à tonalité pro-russe comme : «Mali-Russie: Poutine résolu à redonner au Mali ça (sic) grandeur et ça (sic) stabilité». Imiter ces codes permet de «donner une perception de crédibilité», note Maria Molina, spécialiste en communication à l’Université d’Etat du Michigan. Publiées à un rythme industriel, ces vidéos sont systématiquement partagées sur Facebook dans des groupes comptant plusieurs dizaines de milliers de membres, démultipliant leur visibilité. «Le format en lui-même n’est pas inhabituel. Mais qu’il soit utilisé pour des fausses informations, c’est intéressant parce que (ce que font) ces vidéos, c’est détourner votre attention avec des images», estime Shyam Sundar, de l’Université d’Etat de Pennsylvanie, qui voit dans ce format une «combinaison mortelle» en terme d’efficacité. «Comme votre cerveau essaye d’intégrer toutes ces stimulations, vous n’allez pas vous concentrer sur l’audio spécifiquement et serez moins à même de repérer la désinformation (…), vous êtes mentalement submergé», poursuit-t-il. Le commentaire est d’ailleurs souvent vague et/ou difficilement compréhensible tant il ressemble au fruit d’une traduction automatique.Peu importe finalement, pense Sebastian Dieguez, de l’Université de Fribourg, qui y voit des boîtes à outils permettant de fabriquer des «théories du complot dont vous êtes le héros»: chacun peut y puiser de quoi fabriquer ses propres publications à diffuser à son tour. «Qui est derrière ? C’est toujours difficile à découvrir», résume M.Dieguez, tant les pourvoyeurs de désinformation sont complexes à identifier, et leurs objectifs divers: politiques ou financiers, ou les deux. Plus la vidéo attire de clics, de vues et d’abonnés, plus elle peut être «monétisée», autrement dit rapporter de l’argent à son auteur.