Le nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune veut une loi criminalisant les «discours de haine», qui ont proliféré ces derniers mois, notamment sur les réseaux sociaux, selon un communiqué de la présidence diffusé lundi. M. Tebboune a demandé à son Premier ministre, Abdelaziz Djerad, d’élaborer un projet de loi «criminalisant toutes formes de racisme (…) et le discours de la haine dans le pays», selon le texte diffusé par l’agence officielle APS.
Ces derniers mois, les réseaux sociaux en Algérie sont devenus un terrain d’expression qui laisse libre cours à des propos extrémistes ou grossiers, sur fond de situation politique tendue. L’initiative présidentielle «intervient après avoir constaté une recrudescence du discours de la haine et de l’incitation à la «fitna» (discorde)», selon le communiqué. Cette loi permettrait «de faire face à ceux qui exploitent la liberté et le caractère pacifique du «Hirak» en brandissant «des slogans portant atteinte à la cohésion nationale», souligne le texte.
C’est sur les réseaux sociaux qu’est né le Hirak, mouvement de contestation populaire inédit et pacifique qui a forcé le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner en avril après 20 ans à la tête de l’Etat. Mais les débats entre pro et anti-régime se sont violemment envenimés à l’approche de l’élection présidentielle organisée par le pouvoir le 12 décembre, massivement rejetée par la contestation. Le projet du pouvoir a déclenché des discussions animées sur les réseaux sociaux entre internautes satisfaits – «Il était temps», disent-ils – et opposants qui le trouvent inutile. Certains s’inquiètent en particulier d’un passage du communiqué présidentiel dans lequel il est stipulé que «tout un chacun est appelé à se conformer à la Constitution et aux lois de la République, notamment le respect des constantes de la Nation et ses valeurs, les principales composantes de l’identité et de l’unité nationales ainsi que les symboles de l’Etat et du peuple». Si la parole s’est libérée avec le «Hirak», les échanges acrimonieux, voire insultants, se multiplient sur le web et via médias interposés.
Lundi, le ministère de la Culture a ainsi annoncé avoir mis fin aux fonctions du directeur de la Culture de la wilaya (préfecture) de M’sila, relevé de ses fonctions dimanche soir pour «outrage et offense». Ce responsable, Rabah Drif, scénariste de plusieurs films historiques – dont les propos ont été rapportés par la presse -, avait qualifié un important ex-dirigeant du Front de libération nationale (FLN), Abane Rabane, «de grand traître». Considéré comme un héros de la lutte pour l’indépendance, Abane Ramdane a été assassiné en décembre 1957 à la suite de querelles internes au sein du FLN. Le ministère de la Culture a dénoncé un acte «moralement et politiquement inacceptable émanant de l’un de ses cadres». Autre exemple, fin juin, l’Ordre régional des avocats de Béjaia (nord-est), a annoncé avoir décidé de déposer plainte contre la députée Naima Sahli, présidente du petit Parti de l’Equité et de la Proclamation (PEP), pour «racisme et apologie de haine raciale et atteinte à l’intégrité de l’unité nationale». Près d’un an après le déclenchement du «Hirak», les opposants continuent d’exiger le démantèlement du «système» et le départ de ses représentants au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1962.