Nigeria : l’industrie naissante des jeux vidéo mise sur l’identité et la culture locales

Dans le jeu d’aventures pour téléphones mobiles The Wild Kingdoms, sorti en 2022 par le studio nigérian Kucheza, le joueur peut suivre la quête d’Alantakun en pays yoruba, l’une des principales ethnies du pays le plus peuplé d’Afrique. Comme Kucheza, les studios nigérians misent sur la promotion de l’identité et de la culture locales pour faire grossir une industrie encore balbutiante mais prometteuse, dans un pays où 70% de la population a moins de 30 ans et la croissance démographique est l’une des plus soutenue au monde. Pour Hugo Obi, fondateur du studio Maliyo Games, l’un des pionniers du pays, la «créativité naturelle» des Nigérians, leur «aptitude à raconter des histoires», sont autant d’atouts dans le marché ultra-concurrentiel du jeu vidéo dominé par les poids lourds asiatiques et nord-américains. «Nous avons une telle diversité de cultures, de nourritures, de langues, quand on commence à mélanger tout ça, on crée de nouvelles choses», affirme le quadragénaire. Pour palier l’un des obstacles au développement de cette industrie au Nigeria, à savoir le manque de développeurs et designers qualifiés, Maliyo, dont le nombre de salariés est passé de 3 à 36 en 5 ans, a créé son propre programme de formation dispensant des cours en ligne dans 5 pays du continent. C’est en mobilisant une équipe panafricaine de 14 personnes, pendant 14 mois, que le studio a sorti le jeu mobile Iwaju Rising Chef, adapté de la série d’animation «Iwaju» diffusée l’an dernier par Disney, où le joueur doit concocter des spécialités culinaires nigérianes, comme le riz jollof ou les beignets ronds puff puff. Selon un récent rapport publié par Maliyo, le Nigeria fait partie des 5 pays africains qui dominent le secteur, avec l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie. Et il affiche la plus forte croissance, avec «des revenus passés de 11 millions de dollars en 2019 à 60,9 millions en 2024». Près d’un quart des studios du continent sont situés au Nigeria, selon ce rapport. Quant au jeu The Wild Kingdoms, selon Bukola Akingbade, fondatrice de Kucheza, «60% des téléchargements ont été faits au Brésil» où s’est implantée la culture des orishas à l’époque de la traite transatlantique. D’autres freins au développement de l’industrie locale existent: une fourniture électrique et internet erratique et le manque de soutien financier, estime Ewere Ekpenisi-Igumbor, cofondateur du studio Dimension 11 qui est en train de développer un jeu pour console en partenariat avec Xbox (Microsoft), Legends of Orisha, lui aussi exploitant la mythologie yoruba. «Historiquement, le gouvernement n’a jamais été impliqué dans l’industrie du jeu», explique-t-il, mais «les choses sont en train de changer», notamment depuis «la création d’un ministère des Arts, de la culture et de l’économie créative» par le président Bola Ahmed Tinubu, au pouvoir depuis mai 2023. «Les Nigérians investissent dans le pétrole, dans l’immobilier» mais «tout ce qui à trait à la propriété intellectuelle est très nouveau et considéré comme très risqué», ajoute Hugo Obi, en regrettant le peu d’investisseurs locaux dans le secteur. «Le Nigeria est sans doute le 2ème ou 3ème pays africain en termes de développement de jeux, mais au niveau mondial il représente moins de 0,5% des jeux produits», tempère pour sa part Vic Bassey, à l’origine du site spécialisé Games Industry Africa. Bien que nombreuse, la population nigériane, dont plus de la moitié vit en-dessous du seuil de pauvreté, ne dispose pas en masse d’un pouvoir d’achat élevé dont une partie pourrait être dédiée à l’achat de jeux. David Tomide, 29 ans, autoproclamé «Aer joueur influenceur du Nigeria», se veut confiant pour l’avenir grâce à «la génération Alpha toujours collée à un écran», même s’il reconnaît pour sa part jouer «principalement à des jeux non Nigérians» comme les best-sellers mondiaux Call of Duty ou Fortnite et Mortal Kombat.