P. ROGARD (SACD) : «En cette période de crise, on s’aperçoit que France 4 est indispensable»

1008

La SACD vient de créer un fonds de solidarité d’urgence pour les auteurs les plus fragiles dans le cadre de la crise du Covid-19. En parallèle, France Télévisions a décidé de maintenir la poursuite des écritures des séries et fictions. L’occasion de nous entretenir avec Pascal ROGARD, Directeur général de la SACD.

MEDIA +

Bon nombre d’auteurs se trouvent aujourd’hui dans une situation particulièrement tendue. Sera-t-il possible de couvrir les impacts réels de la crise, notamment sur les auteurs ?

PASCAL ROGARD

Nous ne le savons pas encore. La SACD a créé un fonds d’urgence la semaine dernière en débloquant des sommes à notre disposition pour aider les auteurs les plus démunis. Nous avons saisi très tôt le gouvernement afin que nous puissions transférer ces sommes pour l’action culturelle de la gestion collective obligatoire, et en particulier pour la copie privée, vers l’action sociale. C’est désormais possible. Nous attendons des réponses de l’État pour avoir des systèmes d’aides complémentaires à destination des auteurs. C’est un métier mal protégé parce qu’il ne bénéficie pas des gardes fous sociaux des salariés. Si un projet d’écriture s’arrête, les auteurs n’ont rien.

MEDIA +

Quelles sont les pistes de financement actuellement à l’étude ?

PASCAL ROGARD

Ce sera certainement des ressources budgétaires de la part du gouvernement. L’aide d’urgence dévoilée par le ministère de la Culture, d’un montant de 22 M€, devra être complétée pour pouvoir couvrir les impacts réels de la crise, en particulier pour les auteurs. Le ministère de la Culture essaie aussi de faire bénéficier les auteurs, chaque fois que c’est possible, à des dispositifs de droits communs. Mais pour le moment, je n’ai pas de visibilité ni de réponses précises et actées. D’autre part, le gouvernement demande à chacun des établissements publics concernés dans son plan d’aide, de prévoir un volet auteur. Pour la partie audiovisuelle, nous parlons avec le CNC. 

MEDIA +

En attendant, France Télévisions et la SACD se mobilisent pour la poursuite des écritures des séries et fictions. Est-ce une bonne chose ?

PASCAL ROGARD

Oui, et je tiens à remercier Delphine Ernotte ainsi que Stéphane Sitbon-Gomez de France Télévisions pour le maintien des équipes d’écriture pour les fictions et les séries, qu’elles soient produites par France TV Studio ou commandées à des producteurs indépendants. Plutôt que d’indemniser des gens qui ne travaillent pas, mieux vaut faire en sorte qu’ils continuent leur activité autant que possible.

MEDIA +

Le passage en clair de Canal+ (qui se termine ce 31 mars) a suscité quelques grincements de dents de votre part…

PASCAL ROGARD

Pas simplement de ma part. Ce n’est pas parce qu’une crise pandémique frappe la France qu’on ne doit plus rien respecter. Passer brutalement Canal+ en clair, sans négocier ce passage avec l’autorité de régulation, c’est un coup de force qui pénalise les chaînes gratuites, actuellement en difficulté, mais aussi les producteurs et les auteurs. On sait que le marché publicitaire est très compliqué en cette période. Ça leur faisait donc un concurrent supplémentaire qui ne respecte pas les mêmes règles du jeu, et notamment celle de la chronologie des médias que Canal+ a pourtant ardemment défendue quand cela l’arrangeait. C’est bien beau de se faire applaudir par le public qui ne connaît pas les règles, mais c’est au détriment de ceux qui ont vendu des films à Canal+ pour le crypté uniquement.

MEDIA +

Ne fallait-il pas faire preuve de plus d’indulgence pendant cette période temporaire ?

PASCAL ROGARD

Ce n’est pas une question d’indulgence. Il suffisait de saisir le CSA, de demander l’allongement de la période de clair, en particulier l’après-midi pour avoir des programmes à destination des familles confinées. Le CSA aurait certainement accepté des demandes raisonnables. Mais la méthode consistant à utiliser la pandémie pour faire un mauvais coup n’est pas acceptable.

MEDIA +

Pendant la crise, France 4 s’est transformée en chaîne pédagogique. Son arrêt peut-il être remis en cause, au vu de la situation ?

PASCAL ROGARD

La crise en général est une leçon pour tous ceux qui veulent réduire l’action des services publics et notamment ceux qui ont voulu supprimer France 4 par idéologie afin de limiter le nombre de chaînes du service public. C’est une erreur grave et il faut la réparer maintenant. France Télévisions s’est totalement adaptée à la crise en modifiant sa programmation. Les contenus éducatifs à destination des enfants connaissent un très grand succès. Et on le voit bien, si nous n’avions pas France 4, il y aurait des programmes éducatifs à deux vitesses car tout le monde ne peut pas les recevoir par internet dans de bonnes conditions, en haut débit. En cette période de tension, sur les réseaux, on s’aperçoit que la chaîne est indispensable. J’espère que le gouvernement aura l’intelligence de maintenir France 4 en vie.

MEDIA +

Faire contribuer Netflix et consorts au financement des séries et films français, est-ce un vrai casse-tête ?

PASCAL ROGARD

Non, je ne pense pas. Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ et les autres, sont des opérateurs qui doivent être soumis à des obligations. Mais ces obligations ne doivent pas être surdimensionnées. Nous pouvons par exemple leur imposer 25% d’obligation pour financer la création. Mais si dans ces 25 %, on leur retire les droits d’exploitation, ces règles sont contraires à leur modèle économique. Leur taux de contribution pour la taxe CNC a été doublé. Et par rapport à des concurrents comme Canal+ ou OCS, les plateformes américaines ont un taux de TVA à 20% (contre 10% pour les autres). Sur la question des droits d’auteur, nous avons des difficultés avec Amazon, mais Netflix a toujours été d’une correction exemplaire, et même plus que certains opérateurs français.