Reprise de La Provence: un agrément arraché au forceps?

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Le conseil d’administration de La Provence a certes approuvé lundi l’offre de reprise de l’armateur CMA CGM, mais moyennant l’invalidation des votes de NJJ, la holding de Xavier Niel, qui a aussitôt dénoncé un «passage en force». Ceux qui espéraient un point final au feuilleton judiciaire opposant depuis des mois le géant mondial du transport maritime et la holding du fondateur de Free pour le contrôle du groupe de presse régionale, dont NJJ est déjà actionnaire minoritaire, risquent de devoir encore patienter. En effet, l’étape annoncée comme décisive de l’approbation par le CA de l’offre de CMA CGM a été immédiatement contestée par NJJ, via sa filiale Avenir Développement, dont les 2 administrateurs ont vu leurs votes contre considérés comme invalides. Cette offre de reprise des 89% de parts de Groupe Bernard Tapie (GBT), en liquidation judiciaire depuis 2020, dans La Provence, avait été la seule retenue par les liquidateurs, car mieux disante: CMA CGM avait mis 81 millions d’euros sur la table, contre «autour de» 20 millions pour NJJ. Le projet de l’armateur a donc bien été agréé à l’unanimité des votes exprimés, soit 2 sur 5. Mais sur les 5 administrateurs, seuls 4 ont voté lundi, dont les 2 représentants de GBT qui ont validé l’offre de CMA CGM: le PDG de La Provence, Jean-Christophe Serfati, et la secrétaire générale du groupe, Virginie Layani. Le 3ème représentant de GBT, Stéphane Tapie, fils aîné de l’homme d’affaires décédé en octobre, n’a pas pu voter. Il avait donné son pouvoir à un administrateur d’Avenir Développement, ce qui est «statutairement impossible», a expliqué une source proche du dossier. Restaient les 2 administrateurs d’Avenir Développement, filiale de NJJ, qui détient les 11% restants de La Provence mais dont l’offre de reprise avait été écartée. Ces derniers, en vertu d’un droit d’agrément (droit de veto) classique dans les entreprises de presse, pouvaient, par un seul vote d’opposition, contrer l’entrée au capital de CMA CGM. Ce qu’ils n’ont pas manqué de faire, en dépit de l’avertissement donné par le président du CA, M. Serfati, qui les avait invités à «s’abstenir» ou à «voter» l’agrément. Considérant que ces votes d’opposition «manifestaient le conflit d’intérêts» d’Avenir Développement, M. Serfati les a donc jugés non recevables, en se référant à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 7 avril. La cour avait en effet considéré qu’il existait de «manière incontestable» un «conflit d’intérêts» pour Avenir Développement, à la fois candidat au rachat de La Provence et détenteur d’un droit de veto contre tout nouvel entrant. Ce dernier avait été initialement suspendu par le tribunal de commerce de Marseille, en janvier. Mais il avait ensuite été rétabli par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait alors estimé qu’un éventuel conflit d’intérêts ne s’était pas encore matérialisé. «Ce choix (NDLR: de M. Serfati) , contraire à la fois au droit et à la réalité des débats, s’assimile à un passage en force qui ne fait que redoubler nos craintes pour la suite. Nous le contestons donc formellement», a réagi NJJ, laissant entendre qu’elle étudiait d’éventuelles poursuites judiciaires. De son côté, l’armateur CMA CGM, basé à Marseille, s’est félicité que son projet ait «obtenu ce jour l’agrément du CA du groupe La Provence», ce qui «met fin à une attente longue et difficile pour les salariés, dont les représentants souhaitaient» cette issue. Lundi soir, c’était pourtant l’expectative, de nouveau, qui semblait dominer chez les représentants syndicaux des 850 salariés du groupe, éditeur des 2 titres phares du Sud-Est, les quotidiens «La Provence» et «Corse Matin». «Nous attendons de voir ce que va faire NJJ», car «nous espérons toujours connaître les deux offres» de reprise, a réagi Marie-Cécile Bérenger, représentante CFDT. «Nous craignons que cela s’enlise et que l’on finisse en redressement judiciaire ou en liquidation», s’est inquiétée de son côté Sophie Manelli, élue du Syndicat national des journalistes (SNJ).