Vincent Bolloré, le titan des médias

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Chouchou des médias lorsqu’il avait repris une papeterie familiale au bord du gouffre, le financier hors pair Vincent Bolloré est devenu leur bête noire en bâtissant un empire tentaculaire, incontournable dans l’édition, l’audiovisuel, la communication et la presse. Bientôt septuagénaire, la 14e fortune de France, selon «Challenges», tient encore fermement les rênes de la holding familiale, mais veut laisser la main à la 7ème génération, ses fils déjà présidents des groupes Bolloré (logistique internationale et pétrolière) et Vivendi (médias). Le 17 février, le patron attaché à ses racines bretonnes célèbrera le bicentenaire de la manufacture de papier d’Odet, près de Quimper (Finistère), fondée par Nicolas Le Marié et reprise quelques années plus tard par son aïeul. L’entreprise familiale aurait tourné court si Vincent Bolloré, jeune banquier d’affaires à Paris, n’avait pas décidé en 1981 de reprendre avec son frère les usines Odet-Cascadec-Bolloré (OCB) au bord du dépôt de bilan. Il passe alors du papier cigarette au film plastique, puis aux condensateurs électriques. Bolloré Technologies entre en Bourse en 1985. Cette aventure lui donne d’abord une image de patron sympathique. Souriant, affable, le jeune manager se décrit lui-même comme «trop gentil» lors d’une apparition chez Thierry Ardisson en 1987. Il prend au même moment le contrôle de la SCAC (Société commerciale d’affrètement et de combustible), obtient des parts de l’ancien monopole d’État de production de tabac, et se fait introniser à la présidence de la discrète banque Rivaud. Côté finances, les raids s’enchaînent, ciblant notamment les médias: d’abord Bouygues (maison mère de TF1), Pathé, Havas ou Ubisoft. «Il est l’un des premiers activistes de France, et c’est un compliment», dit la cofondatrice du fonds CIAM Catherine Berjal, qui partage son goût pour flairer les bonnes affaires. «Il a fait très peu de coups perdants et a souvent réussi à faire une plus-value quand il ne prenait pas le contrôle. C’est son côté pile je gagne, face je gagne aussi», appuie Philippe Bailly, du cabinet NPA Conseil. Au lancement de la TNT en 2005, Vincent Bolloré gagne sa 1ère chaîne de télévision, Direct 8, sur laquelle il n’hésite pas à intervenir en direct. Malgré des débuts hasardeux, il parvient par un coup d’éclat financier à la revendre à Canal+ contre des parts de sa maison mère Vivendi, dont il prend le contrôle en 2014. Sa mise au pas brutale de «l’esprit Canal» marque alors les esprits: les cadres sont débarqués, fin du «Zapping», de l’investigation, les «Guignols» sombrent, la rédaction de la chaîne d’infos entame une grève historique. Vincent Bolloré impose le polémiste Éric Zemmour sur les antennes de CNews, qu’il relance sur le modèle de la très conservatrice chaîne américaine Fox News, et donne le champ libre à Cyril Hanouna sur C8. Fervent catholique, il développe aussi les émissions chrétiennes, tendance traditionaliste. «Je ne suis pas un investisseur financier, je suis un investisseur industriel. Je dois donc avoir le contrôle de l’éditorial», disait-il à «Télérama» en 2007. Parallèlement, les procédures judiciaires pleuvent sur les journalistes qui enquêtent sur ses activités, notamment en Afrique. «Il y a un côté cabot chez lui, il s’amuse de tout ça», affirme le journaliste Nicolas Vescovacci, qui a obtenu la condamnation de Vivendi pour «procédure abusive» à son encontre lors de la rédaction du livre «Vincent tout-puissant». Aujourd’hui, Vincent Bolloré prévoit de céder la logistique africaine, plombée par des enquêtes pour corruption, tandis que son dernier coup de maître en introduisant Universal Music Group en Bourse lui permet de se renforcer encore dans les médias et l’édition. Après avoir racheté les magazines Prisma (Télé-Loisirs, Femme Actuelle, Capital), le patron d’Editis est sur le point d’avaler Lagardère (Hachette, Europe 1, «Le JDD», «Paris Match»).