En pleines manifestations de mai 68 à travers la France, le film «Peppermint Frappé» de Carlos Saura, décédé vendredi, va se retrouver par hasard au coeur de la contestation à Cannes, l’annulation de sa projection précipitant l’arrêt du Festival. Le nouveau long-métrage du réalisateur espagnol, avec l’actrice Geraldine Chaplin, alors sa compagne, doit être montré aux festivaliers ce soir du 18 mai 1968. Depuis plusieurs jours déjà, la Croisette est rattrapée par le vent de contestation qui souffle dans le pays. «Les manifestations estudiantines et ouvrières en France avaient créé un malaise chez les cinéastes et critiques du festival qui, disaient-ils, offraient aux étrangers une image fausse de la France par ses réceptions mondaines et son insouciance», écrit ce jour-là l’envoyé spécial de l’Agence France-Presse. La veille au soir, les ouvriers du film ont décidé de se mettre en grève et une motion a appelé tous les professionnels concernés à «s’opposer à la continuation» du Festival. En accord avec son équipe, Carlos Saura propose de retirer son film de la projection pour que le cinéma «laisse la place à la révolution». Fin de non-recevoir des organisateurs. Dépêché à Cannes avec Truffaut et Lelouch, Jean-Luc Godard appelle à «démolir les structures de Cannes». «Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons !», lance-t-il aux récalcitrants. Le soir venu, tout le monde investit la grande salle où doit être projeté «Peppermint frappé». On s’invective, on se bouscule, Godard, rejoint par Saura et Geraldine Chaplin, s’accroche aux rideaux rouges pour empêcher la séance de débuter. Avec succès. Tout s’enchaîne ensuite. Le jury se saborde. A l’instar de Saura, d’autres cinéastes comme Milos Forman et Alain Resnais retirent leurs films. Le 19 mai, à midi, est finalement proclamée «la clôture définitive du festival».
«Peppermint Frappé» sera finalement bel et bien projeté à Cannes 40 ans plus tard, presque jour pour jour, le 15 mai 2008. L’occasion pour le fils de Carlos, le producteur Antonio Saura, qui représentait son père souffrant sur la Croisette, de raconter quelques anecdotes sur le Mai 68 vécu par le réalisateur. «Mon père et Geraldine voyageaient depuis Madrid en camionnette et se sont arrêtés à Paris. Carlos voyait une révolution en marche et Geraldine une bande d’étudiants très bruyants», explique-t-il. «Le chien qui les accompagnait était interdit à l’hôtel et a dû rester dans la camionnette alors que les étudiants s’en prenaient aux voitures. A ce moment-là, Carlos se disait «pourvu que la révolution s’étende à l’Espagne» tandis que Geraldine remerciait le ciel que le chien ait survécu», racontait-il encore aux festivaliers.