A. LASCH (SNEP) : «Le streaming par abonnement reste de loin la première source de revenu de la musique »

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Avec un chiffre d’affaires de 920 M€, le marché français de la musique enregistrée affiche un résultat en progression de 6,4% en 2022, soit une sixième année consécutive de hausse. Ce chiffre conforte les performances observées depuis 2017. La croissance reste significative malgré un environnement complexe, marqué par l’incertitude économique, l’inflation et les challenges nés de l’évolution constante des usages. Entretien avec Alexandre LASCH, Directeur général du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique).

Quelle est la croissance du marché français de la musique enregistrée ?

Le marché français de la musique enregistrée affiche un résultat en augmentation (+6,4% en 2022) pour la sixième année consécutive en France. Cette croissance est portée en particulier par le développement continu du streaming par abonnement qui est le cœur de notre nouveau modèle économique. Le streaming par abonnement, avec 426 M€, reste de loin la première source de revenu de la musique enregistrée et le levier de croissance du marché, en progression de 11% par rapport à 2021. Cependant, on s’attendait à faire mieux. Car dans les faits, le développement du streaming audio par abonnement est un peu en retard par rapport aux autres grands territoires de la musique.

Comment s’explique ce retard ?

Même si l’offre est à peu près la même à travers les différents pays, difficile de trouver les raisons de ce retard d’autant que le modèle du streaming audio payant est né en France (en même temps qu’en Suède) avec Deezer qui a signé le premier contrat au niveau mondial avec les ayants droits pour installer ce business modèle. C’est tout un travail de conviction et de pédagogie que doivent faire les producteurs, les plateformes et les artistes pour continuer à attirer davantage d’abonnés sur ces services vertueux pour la création.

Comment les ventes numériques et physiques se répartissent-elles sur le marché français de la musique enregistrée ?

Le numérique et le physique représentent 75% et 25% de la répartition des revenus. C’est exactement l’inverse qu’il y a 10 ans. En une décennie, le marché de la musique s’est réinventé.

La répartition des revenus va-t-elle se stabiliser ?

C’est fort probable ! La vente de vinyles repart à la baisse en 2022 après une année 2021 particulière (rebond de +21% sur le physique). Ce chiffre était lié à une année marquée par le confinement et la fermeture des commerces culturels trois mois dans l’année. Même s’il y a une tendance baissière sur le physique, il y a des signes encourageants : le CD constitue 70% des actes d’achat des supports physiques. Parmi les acheteurs de vinyles, il y a un grand nombre de jeunes. L’année dernière, 59% des acheteurs de vinyles avaient moins de 35 ans (+ 8 points sur 1 an).

Combien d’utilisateurs payants de streaming y a-t-il en France ?

16 millions d’utilisateurs ont adopté le streaming payant : 11 millions d’abonnements et 5 millions sur les offres partagées (duo ou famille). Si on y ajoute le freemium, c’est-à-dire les utilisateurs d’offres gratuites de Spotify ou Deezer, 4 Français sur 10 utilisent régulièrement les plateformes de streaming audio.

Quels sont les segments du marché de la musique qui progressent le plus rapidement ?

Le streaming audio financé par la publicité ou encore le streaming vidéo progressent plus rapidement (+21% et +14%) que le marché dans son ensemble. Cela étant, ces segments de revenus restent relativement peu significatifs. Pour rappel, le streaming par abonnement est la première source de revenus, suivi du CD, du vinyle et enfin – très loin derrière – les segments dont je viens de parler.

Quelle est la part des productions françaises dans les ventes de musique enregistrée en France ?

La France est championne d’Europe pour la consommation des répertoires locaux avec des artistes produits en France. Dans le Top 10, il y a 100% d’artistes qui chantent en français. Dans le Top 200, ils sont 77%. Les artistes locaux créent de l’engagement auprès de leur fan et correspondent aux goûts du public français. Parmi les 100.000 titres les plus écoutés sur les plateformes de streaming, on constate deux choses : 77% des titres ont moins de 10 ans, et 2/3 sont des productions françaises.

Comment les producteurs de musique innovent-ils pour répondre aux attentes des consommateurs et aux besoins des artistes dans un environnement en constante évolution ?

Ils doivent trouver des nouveaux modes d’exposition pour connecter les artistes à leurs fans. Ce sont des enjeux majeurs : des métavers au web3, des NFT au gaming. Ce sont des fenêtres d’expositions permettant de réinventer à nouveau le business modèle de la musique.

L’exposition TV de la musique évolue-t-elle dans le bon sens ?

Les médias traditionnels restent extrêmement importants. La radio permet la découverte d’artistes émergents et la télévision assoit la notoriété des artistes tout en développant leur popularité auprès de larges publics. En revanche, cela n’évolue pas totalement dans le bon sens. En radio, certaines décisions de l’Arcom conduisent à une baisse des principaux critères de francophonie en lien avec les quotas de chansons francophones. D’une année sur l’autre, le taux de francophonie des radios musicales a baissé de 2 points (soit 200 artistes de moins qui ne profitent pas de l’exposition qu’offrent les radios). En télévision, nous sommes attentifs aux renouvellements des conventions de TF1 et de M6.

Quelles sont vos priorités stratégiques ?

L’intelligence artificielle est un sujet majeur. Elle est déjà partout, notamment dans les mécanismes de recommandation des plateformes de streaming. Les questions liées à l’intelligence artificielle se multiplient en positif comme en négatif. Notre feuille de route aura pour but d’analyser l’ensemble des aspects que pose l’intelligence artificielle appliquée à notre secteur. Comment le cadre juridique s’adapte-t-il à cette nouvelle donne et aux outils qui se démocratisent pour éviter le pire ? Car il y a un risque de déshumanisation de la création.