A Mossoul ravagée par la guerre, la jeunesse irakienne s’initie au cinéma

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Soulevant un pan de sa robe blanche, la mariée escalade les décombres au milieu des ruines du Vieux Mossoul. «Action!» lance l’apprenti-réalisateur, un étudiant irakien tout juste initié au cinéma dans l’ancien bastion jihadiste.
Dans la métropole du nord de l’Irak, qui porte les stigmates de la guerre contre le groupe Etat Islamique (EI), un Département cinéma a vu le jour, fruit de la collaboration entre un théâtre belge, l’UNESCO et l’Institut des Beaux-Arts mossouliote. Suivant un cursus de quatre mois, les 19 étudiants et étudiantes ont pour la première fois écrit et réalisé neuf courts-métrages, accompagnés par des professeurs venus de Belgique ou encore d’Allemagne. «L’idée était de leur apprendre comment écrire un scénario, jouer dans un film, faire le montage», résume Milo Rau, directeur artistique du théâtre NTGent, à Gand, en Belgique, et initiateur du projet.
Caméra sur l’épaule et perche à micro à la main, ces jeunes tout juste sortis de l’adolescence ont arpenté les rues pour raconter les blessures de Mossoul et les maux de la société. Dans la chaude lumière de décembre enveloppant les ruines du Vieux Mossoul, Maryam en robe de mariée sort d’une maison à moitié écroulée, balayant l’horizon d’un regard douloureux à la recherche de son mari. Sorti fumer une cigarette, Muhanad va marcher sur une mine.Des enfants s’attroupent, des femmes du quartier s’arrêtent l’air amusé pour observer le tournage. Un voisin récalcitrant allume son générateur et refuse de l’éteindre. «On perd la lumière», lance régulièrement un des enseignants, pressant les étudiants qui enchaînent les scènes à mesure que le soleil baisse. Avant le tournage, Mohammed Fawaz, 20 ans, revoit le maniement de la caméra et discute mise au point avec son professeur Belge Daniel Demoustier. L’étudiant en théâtre rêve d’être acteur. Il découvre pour la première fois les coulisses du septième art. «J’aime le cinéma depuis longtemps», confie-t-il, citant avec candeur parmi ses références les productions Marvel de superhéros américains, ou encore la saga Fast and Furious. Avec l’arrivée de l’EI en 2014, il raconte quatre années passées à la maison sans télévision ni sorties, privé d’école. Il a alors appris l’anglais, grâce aux livres et cours informels d’un proche, enseignant la langue de Shakespeare.
Son entrée aux Beaux-Arts, une fois les jihadistes défaits en 2017, c’est un peu «le passage de l’âge de pierre à la modernité». Lui et certains camarades ont déjà décidé «de faire des films sur Mossoul et sur la guerre», confie le garçon à la silhouette frêle, teint mat et épais cheveux noir de jais. «Nous vivons à Mossoul, on sait tout ce qui s’est passé, les tragédies. On veut montrer tout ça au monde à travers le cinéma». Après un mois de cours intensifs en octobre, les étudiants ont enchaîné les tournages, pratiquant à tour de rôle les différents métiers du cinéma, explique M. Demoustier, caméraman et réalisateur. L’équipement apporté pour la formation – caméra, objectifs, ordinateurs, sono – restera à Mossoul. «L’idée étant que les étudiants les réutiliseront et feront des films tout seul. Si 3 ou 4 d’entre eux réussissent, ce sera déjà un grand succès», ajoute-t-il. En janvier les étudiants se mettront au montage. Leurs oeuvres, allant jusqu’à cinq minutes, seront projetées à Mossoul avant d’être présentées dans des festivals européens, explique le metteur en scène Milo Rau. L’objectif maintenant, sécuriser des financements pour assurer la pérennité du Département cinéma. Et prochaine étape: «créer avec des partenaires un petit festival du film de Mossoul».