«Anatomie d’une chute» : l’envers de la fabrication du film au destin hors du commun

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«Justine est complètement obsessionnelle» : nommé aux César et aux Oscars pour son travail sur «Anatomie d’une chute», le monteur Laurent Sénéchal raconte l’envers de la fabrication du film au destin hors du commun. En bonne place pour les Oscars (le 10 mars au soir à Los Angeles, diffusé dans la nuit du 11 mars en France), avec 5 nominations, après avoir remporté dimanche le Bafta du meilleur scénario et deux Golden Globes en janvier, le film de Justine Triet est l’un des grands favoris des César, vendredi.

Parmi ses 11 nominations, celle du meilleur montage. Un prix qui honore un métier de l’ombre, mais essentiel, auquel les producteurs d’«Anatomie d’une chute» ont accepté de consacrer 38 semaines. Un temps exceptionnellement long par rapport aux standards de l’industrie. «C’est un luxe de pouvoir faire un film où le montage est aussi important», reconnaît Laurent Sénéchal. «Justine est complètement obsessionnelle, le montage est un des endroits les plus essentiels pour la mise en scène» de son film, sourit-il. Huit mois de tournage pendant lesquels la réalisatrice et son monteur, tous deux âgés de 45 ans, échangent, travaillent ensemble, se complètent. Des 130 heures de rushs d’un projet initialement conçu comme une série, il ne restera au final qu’un long-métrage d’une durée de 02h32, savamment construit autour d’un procès et de flash-back de la vie d’un couple qui explose. «Avec Justine, c’est le 3ème film qu’on fait ensemble. Plus on se pratique, plus on se connaît, plus certaines choses deviennent évidentes», raconte Laurent Sénéchal, qui a également travaillé sur tous les films du compagnon et co-scénariste de la réalisatrice, Arthur Harari. Au montage, «certains réalisateurs travaillent avec un 1er jet», une sorte de brouillon qui permet de se faire une idée initiale. Chez Justine Triet, au contraire, «tout passe par le jeu d’acteur. Elle part des prises, et de la matière, pour voir où ça l’amène». «Ça la fait complètement dérailler quand elle voit quelque chose de mal joué», plaisante-t-il. «Donc on fait tout le chemin ensemble, ce qui prend beaucoup de temps» de montage. «On va au marché en regardant les rushs et on fait la cuisine à partir de ce marché», illustre-t-il. «C’était énormément de travail, beaucoup d’action, mais on n’était jamais perdus. C’était joyeux». Aussi complexe que fin, le film passe au scalpel les rapports de domination au sein du couple, les enjeux de genre, les rouages de la justice, le regard de la société, celui des enfants… Mais réaliser, c’est aussi renoncer, explique Laurent Sénéchal. «On avait beaucoup de matière en plus», confie-t-il, comme par exemple sur le rôle des médias. Il était prévu que «la presse soit comme un personnage supplémentaire, avec des journalistes qui filmaient». «On a vraiment réduit ça car ça devenait trop complexe».

Heureux de voir son métier mis en lumière, Laurent Sénéchal pense toutefois que le monteur ne doit pas laisser «sa signature» sur le film : «c’est un métier d’adaptation, on est des raconteurs d’histoire, des accoucheurs qui accompagnent» le cinéaste. A-t-il peur d’être remplacé un jour par l’IA ? Il reconnaît avoir été bluffé par des petites séquences générées automatiquement par son smartphone à partir de ses vidéos et pense que l’outil sera utilisé comme assistant d’ici dix ans sans qu’on soit «plus surpris». Mais rien ne remplacera l’humain, espère-t-il : «Si on confie les rushs d’«Anatomie» à un ordinateur, on n’aura pas le même film!».