Avec le télétravail, de nombreux salariés souhaitent un «droit à la déconnexion»

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Confinés à domicile où ils ont été et restent parfois branchés à leur ordinateur et smartphone 24H/24, sans temps mort entre leurs temps de vie, de nombreux salariés, cadres dans leur grande majorité, souhaitent un «droit à la déconnexion» effectif. C’était le cas de 69% d’entre eux en novembre, pendant le 2ème confinement, selon un baromètre annuel de l’Ugict-CGT/Sécafi, réalisé par ViaVoice, contre 60% un an plus tôt. Car si les outils numériques permettent de travailler presque partout sans perdre de temps, cela peut vite devenir synonyme de «disponibilité permanente», déplorent nombre de ceux qui ont fait l’expérience du «télétravail forcé permanent» depuis le début de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. Introduit dans la loi française en 2017 dans le cadre des négociations obligatoires d’entreprise, le «droit à la déconnexion» entend permettre aux salariés de ne pas répondre à des courriels, appels téléphoniques et autres sollicitations numériques professionnelles en dehors du temps de travail, sans en pâtir. A ce jour pourtant, «aucune contrainte ni sanction n’est prévue pour les employeurs qui ne le respecteraient pas, sauf à faire reconnaître un problème de santé lié à une «surconnexion» en accident de travail», explique Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT (CGT des cadres et ingénieurs). «Avec le télétravail, toutes les barrières entre les temps de vie sautent: on est tout le temps connecté avec une charge de travail en forte hausse», estime Nayla Glaise, déléguée CGT au cabinet de conseil Accenture, et membre du syndicat européen Eurocadres. Une enquête de l’Ugict-CGT réalisée avec la Dares début mai auprès de 34.000 salariés, soulignait que «près de 80% des télétravailleurs» ne disposaient pas d’un droit à la déconnexion et que «40% des encadrants» déploraient une hausse de leurs temps et charge de travail. «Confrontés eux-mêmes au problème pour la 1ère fois, nombre de cadres dirigeants ont compris que cette question est centrale», relève Mme Glaise pour qui néanmoins des réticences demeurent pour organiser différemment le travail. Elle cite le cas de «salariés à bout, se disant «fliqués» et qui n’osent pas s’éloigner 5’ de leur ordinateur» et celui d’une salariée, victime «d’un éclatement du nerf optique, reconnu comme accident du travail». Avec le télétravail à haute dose «certains managers ont su éviter les pressions inutiles mais d’autres se sont mis dans l’hyperactivité ou l’hypercontrôle à la limite du harcèlement», témoigne Philippe (prénom changé), cadre d’un grand groupe de l’Energie. Pour Sébastien Crozier (CFE-CGC) d’Orange, «le droit à la déconnexion n’est que le révélateur des pratiques managériales: on parle de «droit» car on reste dans une logique d’abus, alors que c’est l’entreprise qui devrait avoir l’obligation de manager correctement», dit-il. «En pratique, ce droit n’existe pas», estime un ingénieur en génie logiciel d’un grand groupe de conseil en informatique. Pour Matthieu Trubert, délégué CGT à Microsoft France, «c’est un équilibre difficile à trouver entre une organisation du travail qui pousse à travailler toujours plus, des salariés qui doivent savoir s’arrêter, et des managers qui n’ont pas la liberté effective d’adapter le travail». Consciente du problème, la direction d’un grand média explique avoir signé en 2017 un accord d’entreprise intégrant le droit à la déconnexion, garantissant aux salariés au «forfait jours» un temps de repos quotidien de 13h entre deux journées de travail. Chez Orange, une formation en ligne sur le télétravail propose notamment des techniques pour «reprendre le contrôle de son temps».Le Parlement européen a adopté le 21 janvier un rapport d’initiative parlementaire demandant à la Commission européenne de légiférer sur le «droit à la déconnexion», un «droit fondamental».