Chine : un écrivain chinois en exil dénonce la censure

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Murong Xuecun, l’un des plus grands noms de la scène littéraire chinoise, s’est retrouvé contraint à l’exil, empêché de publier en Chine ses romans empreints de critiques virulentes sous la présidence de Xi Jinping. Son destin reflète celui de nombreux autres intellectuels progressistes chinois qui ont osé faire la lumière sur le système avant de fuir à l’étranger, d’être écroués ou de se taire. L’écrivain de 48 ans, Hao Qun de son vrai nom, a quitté la Chine en août 2021 après avoir écrit «Deadly Quiet City», un ouvrage non-fictionnel publié en mars et portant sur le confinement de Wuhan en 2020. «Ils m’ont exhorté à partir immédiatement», raconte-t-il depuis son domicile de Melbourne, en Australie. Son éditeur australien estimait qu’il allait «certainement être arrêté» après la sortie du livre, dit-il. M. Murong est entré dans Wuhan en avril 2020, alors qu’un virus mystérieux et mortel sévissait dans la ville. Il a pris des risques considérables pour s’entretenir avec des proches de victimes du Covid-19 et des habitants confrontés aux pénuries de nourriture et de soins. Des journalistes indépendants ayant fait état de la situation à Wuhan ont par la suite été emprisonnés, tandis que la propagande d’Etat présentait le confinement comme un triomphe. «J’ai reçu des appels téléphoniques réguliers de la part des services de sécurité de l’Etat qui tentaient de me harceler et de me menacer», se souvient-il. «J’étais terrorisé. Quand j’ai commencé à écrire, (la journaliste) Zhang Zhan a été arrêtée. Vingt jours plus tôt, j’avais conduit un entretien très détaillé avec elle». Par crainte d’une arrestation imminente, M. Murong a transmis chaque page au fur et à mesure qu’il écrivait à un ami à l’étranger via un logiciel crypté, avant de nettoyer son ordinateur. «J’ai dit à mon ami: «Peu importe ce qui m’arrive, ce livre doit être publié». Murong Xuecun a été propulsé au grand jour lorsque son 1er roman est sorti sur internet en 2002, un ouvrage salué pour sa description réaliste de la vie urbaine mêlant des personnages nihilistes en quête d’alcool, de sexe et de drogues. L’atmosphère relativement permissive des années 2000 et de la direction de Hu Jintao permettait des débats enflammés sur les réseaux sociaux et l’éclosion de médias indépendants. Davantage d’écrivains chinois accédaient à la renommée internationale, à l’image de Mo Yan, récompensé par le prix Nobel de littérature en 2012. En ligne et dans la presse écrite, une multitude d’avis s’exprimaient, même si les éditeurs se livraient à un jeu d’équilibristes face à la censure. Cependant, lorsque Xi Jinping a pris les rênes du pouvoir, les voix appelant au changement se sont muselées, le nouveau dirigeant cherchant à éliminer toute menace envers le parti communiste chinois. Un à un, les amis de M. Murong – d’anciens journalistes, intellectuels et écrivains – ont été arrêtés ou se sont tus. «Simplement parce qu’ils ont fait ou dit quelque chose que le parti communiste n’aime pas, le régime les a jetés en prison», observe-t-il. Lui-même a été convoqué par la police de Pékin en 2019 pour avoir retweeté une caricature de Xi Jinping 3 ans plus tôt. La censure dans la culture s’est accrue de manière exponentielle. Des tatouages et des boucles d’oreilles portées par des hommes sont même floutés dans les émissions de télévision, le Parti communiste cherchant à privilégier les valeurs sociales qu’il juge «saines». Désormais, la censure s’abat sur les séries télévisées, les oeuvres musicales et les films qui franchissent des lignes rouges d’ordre politique non définies. Les programmes des écoles primaires sont assortis de manuels sur la pensée de Xi Jinping. Murong Xuecun a été exclu en 2013 du réseau social Weibo, où il comptait autrefois plus d’un million d’abonnés. Son travail d’écrivain s’est lentement tari. «Bien que je me dise écrivain, il m’était presque impossible de publier des essais ou des livres. Tout ce que je pouvais faire, c’était être un scénariste anonyme», soupire-t-il.