Collecte massive des données : l’UE impose des garde-fous

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La justice européenne s’est opposée mardi à ce que les Etats ordonnent aux opérateurs télécoms la collecte «généralisée et indifférenciée» des données de connexion et de localisation, et a mis des garde-fous pour une collecte ciblée ou limitée en cas de «menace grave pour la sécurité nationale».Sollicitée par des juridictions en France, en Belgique et au RU, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a confirmé que le droit européen s’oppose aux réglementations nationales imposant aux fournisseurs d’accès «la transmission ou la conservation généralisée et indifférenciée» des données de connexion, selon le texte de l’arrêt. Concrètement, les métadonnées des connexions internet et des conversations téléphoniques – qui ne portent pas sur le contenu des messages mais les conditions dans lesquelles elles ont été échangées (identité, localisation, date, durée…) – ne peuvent pas être gardées indéfiniment et uniformément par les opérateurs. La CJUE admet cependant des dérogations encadrées dans le cas où un Etat fait face «à une menace grave pour la sécurité nationale, réelle et actuelle ou prévisible», ce qui peut l’amener à imposer, par «des mesures législatives», une conservation «généralisée et indifférenciée» des données «pour une durée temporellement limitée au strict nécessaire». La collecte peut également viser les «personnes à l’égard desquelles il existe une raison valable de soupçonner qu’elles sont impliquées dans des activités de terrorisme». De même, dans la «lutte contre la criminalité grave» et «la prévention des menaces graves contre la sécurité publique», un État membre peut également «prévoir la conservation ciblée des données». Pour autant, «une telle ingérence dans les droits fondamentaux doit être assortie de garanties effectives et contrôlée par un juge ou une autorité administrative indépendante», insiste la Cour. Dans un arrêt de 2016 baptisé «Tele2», la CJUE avait déjà jugé que les Etats membres ne pouvaient pas imposer aux fournisseurs une «obligation généralisée et indifférenciée» de collecte et de conservation des données relatives au trafic et données de localisation. Mais plusieurs Etats de l’UE continuent d’exiger une telle collecte afin que les policiers, les magistrats ou les services de renseignement puissent accéder à ces données. Ils s’appuient sur le Traité de l’UE, selon lequel la sécurité nationale «reste de la seule responsabilité de chaque État membre». Un argument qui n’a pas convaincu la CJUE, pour laquelle ces pratiques contreviennent bel et bien à la directive européenne «vie privée et communications électroniques» de 2002. Celle-ci «ne permet pas que la dérogation à l’obligation de principe de garantir la confidentialité des communications électroniques et des données afférentes (…) devienne la règle». «Ces obligations (…) constituent des ingérences particulièrement graves dans les droits fondamentaux garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’UE sans que le comportement des personnes dont les données sont concernées présente de lien avec l’objectif poursuivi», souligne la Cour. «Qu’il puisse y avoir une surveillance ciblée de personnes dangereuses ou soupçonnées de l’être, c’est une chose (…) Mais conserver toutes les traces de connexion de manière indifférenciée pendant des périodes aussi longues, c’est de la surveillance de masse», observait début 2020 Alexis Fitzjean, avocat de La Quadrature du Net, association de défense des droits des internautes. De leur côté, les magistrats et services de renseignement français guettaient la décision de la CJUE, s’inquiétant d’être privés d’informations cruciales ou de voir leurs enquêtes entravées –  dans de nombreuses affaires, comme celle des attentats de 2015, ces données de connexion s’étaient avérées décisives. Or, la Cour a estimé mardi que les juges étaient sommés d’écarter les éléments de preuve obtenus par «une conservation généralisée et indifférenciée des données» incompatibles avec le droit de l’Union.