Cybersurveillance en Libye: la société française Amesys mise en examen pour «complicité d’actes de torture»

La société française Amesys, accusée d’avoir fourni du matériel de cybersurveillance au régime du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, a été mise en examen pour «complicité d’actes de torture». La société d’ingénierie a été mise en examen par courrier le 18 juin, selon ces sources.Elle était placée depuis mai 2017 sous le statut intermédiaire de témoin assisté dans l’information judiciaire ouverte en 2013, après une plainte de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) lui reprochant d’avoir vendu entre 2007 et 2011 à Tripoli un logiciel qui aurait permis de traquer des opposants libyens. Ce changement de statut dans la procédure, après quatre ans de poursuites des investigations, fait désormais peser la menace d’un renvoi aux assises pour Amesys, rachetée par Bull en janvier 2010. Contacté, l’avocat de la société, Me Olivier Baratelli, a confirmé cette mise en examen et contesté «formellement la qualification pénale alléguée de complicité de torture». «Ce contrat a été signé à l’époque dans un contexte international de rapprochement diplomatique avec la Libye, alors que l’Etat français collaborait avec la Libye notamment en matière de lutte antiterroriste et encourageait la signature de contrats avec ce pays dans de multiples domaines, à la suite de la levée de l’embargo», a-t-il argué.Me Baratelli a, par ailleurs, souligné qu’Amesys avait «cédé le fonds de commerce Eagle [le nom du logiciel] à la société Nexa en 2012». Dans ce dossier, les juges d’instruction ont aussi mis en examen mi-juin Philippe Vannier, qui avait été le président d’Amesys jusqu’en 2010 avant de prendre la tête de Bull. Dans un autre volet, concernant cette fois l’Egypte et l’entreprise Nexa Technologies, dirigée par d’anciens responsables d’Amesys et qui a vendu le même logiciel au régime d’Abdel Fatah al-Sissi, les magistrats avaient mis en examen quatre dirigeants et responsables pour «complicité d’actes de torture et de disparitions forcées». «Il faut saluer cette remarquable avancée de l’instruction, que nous attendions depuis de nombreuses années, et qui constitue un précédent important», ont déclaré Clémence Bectarte et Patrick Baudouin, avocats de la FIDH. Dans l’information judiciaire visant Amesys, les parties civiles accusent la société d’avoir fourni en toute connaissance de cause du matériel de cybersurveillance à l’Etat libyen qui l’a utilisé pour repérer des opposants, ensuite emprisonnés et torturés. Les médias en ligne reflets.info et owni.fr avaient effectué de premières investigations sur le sujet mais l’affaire avait véritablement éclaté en 2011, en plein Printemps arabe. Des journalistes du Wall Street Journal avaient alors visité le centre de surveillance de Tripoli et découvert des documents selon lesquels Amesys l’avait équipé d’un système d’analyse du trafic internet (DPI), permettant de contrôler les messages qui s’y échangeaient. Dans cette enquête, au moins six victimes, qui s’étaient constituées parties civiles, ont été entendues entre 2013 et 2015 par les juges français. Le sulfureux homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine a aussi été interrogé en mai 2017 dans cette affaire par les enquêteurs et indiqué avoir servi d’intermédiaire entre les dirigeants de la société et des personnalités du régime libyen. A ce titre, le nom de la société apparaît aussi dans l’enquête sur un présumé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.