Dans les télécoms, les ambitions du géant chinois Huawei bousculées

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Huawei semblait avoir fait le plus dur en Europe pour préserver sa présence dans les réseaux 5G à venir, mais la crise du Covid-19, et le grand retour des préoccupations de souveraineté technologique, bousculent les ambitions du géant chinois. En France par exemple. Lundi, le directeur de l’Anssi, Guillaume Poupard, expliquait que Huawei ne fera pas l’objet d’un «bannissement total», mais que les opérateurs français l’utilisant vont, au mieux, recevoir des autorisations d’exploitation limitées à 8 ans maximum. Loin donc du minimum de 10 à 15 ans habituellement appliqué dans le secteur. En jouant «sur la durée d’amortissement des équipements installés par les opérateurs», estime Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms au sein du cabinet BearingPoint, «on pose les bases d’une transition plus ou moins lente» vers, à terme, une sortie de Huawei des réseaux mobiles français. Pour les experts du secteur en effet, l’objectif de Paris peut être de pousser Huawei vers la sortie, en donnant le temps aux opérateurs qui l’utilisent de préparer leur transition. «Nous allons savoir dans quel sens on va avec les 1ères autorisations, qui doivent tomber en fin de semaine. Soit il y en a beaucoup, et cela signifie que les opérateurs peuvent globalement espérer continuer avec Huawei, soit c’est l’inverse et le message qui leur est envoyé est assez clair», analyse Jean-Luc Lemmens, directeur du pôle médias et télécoms pour l’Idate. La France n’est pas le seul pays à se poser la question: après avoir envisagé de limiter la part de marché de Huawei dans ses réseaux, le Royaume-Uni a durci le ton. Après avoir lancé des discussions avec plusieurs équipementiers, tels que le sud-coréen Samsung ou le japonais NEC, le gouvernement britannique parle désormais ouvertement de «réduire la part des fournisseurs à haut risque», dont Huawei, a déclaré le ministre chargé du Numérique, Oliver Dowden. En Allemagne, le sujet n’a jamais été vraiment tranché par le gouvernement.Les socio-démocrates veulent des critères de sécurités qui viendraient de fait éliminer Huawei, tandis que les conservateurs, Angela Merkel en tête, redoutent les conséquences d’une telle décision sur les échanges commerciaux avec la Chine. Pour le groupe chinois, le scénario le plus redouté serait celui d’un effet domino à travers l’Europe, avec des Etats qui, les uns après les autres, décideraient de se passer de lui. L’Europe est un marché essentiel pour Huawei, dans la mesure où il s’agit de son principal hors de Chine, dans une proportion quasi équivalente à sa part de marché domestique. Jusqu’ici, le groupe avait réussi à éviter que les pays européens ne plient face aux pressions réitérées des Etats-Unis pour l’exclure des réseaux mobiles 5G. Des représentants de l’administration américaine sont venus très régulièrement en Europe ces derniers mois pour convaincre les différents gouvernements, a priori sans beaucoup de succès. Jusqu’à ce que frappe la pandémie, qui a relancé les préoccupations des Européens en matière de souveraineté économique, et technologique. «On remarque une certaine inflexion dans la position du gouvernement (français, NDLR) qui était jusqu’ici très neutre. Il ne s’agit plus désormais d’une question de dangerosité potentielle mais bien d’une question politique, ce qui est nouveau», analyse Sylvain Chevallier. Pékin a réagi en demandant un «environnement ouvert, équitable et non discriminatoire pour les entreprises de tous les pays, y compris les entreprises chinoises. D’autant que, d’ores et déjà, «un certain nombre d’opérateurs européens se sont tournés vers Nokia et Ericsson, anticipant l’aspiration à plus de souveraineté de leur gouvernement. C’est une vraie tendance de fond», insiste M. Chevallier. «Il est évident que sur certains points, Huawei aura une longueur d’avance, sur d’autres ce sera plutôt Nokia ou Ericsson, tout dépend des besoins des opérateurs en terme de stratégie de déploiement et de ce qu’ils envisagent de faire avec la 5G», insiste Jean-Luc Lemmens.