En Espagne, l’industrie du jeu vidéo monte en puissance

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Marché intérieur dynamique, meilleure visibilité à l’international: en Espagne, l’industrie du jeu vidéo monte en puissance, portée par une poignée de studios rêvant de tutoyer les géants du secteur. Un pari ambitieux, dans un contexte économique fragile. «Actuellement, le secteur est sur une bonne dynamique (…) L’Espagne est en train de trouver sa place sur la carte mondiale» du jeu vidéo, assure José Maria Moreno, secrétaire général de l’Association espagnole des jeux vidéos (Aevi), regroupant plus de 80 acteurs du jeu «made in Spain». Dans le pays, pas de poids lourds de l’industrie vidéoludique, à l’image de l’américain Electronic Arts, du français Ubisoft ou du polonais CD Projekt. Mais «on trouve de nombreux studios indépendants», souvent «très créatifs» et dont le travail «est reconnu», insiste M. Moreno. Selon l’organisation patronale du secteur (DEV), 790 studios de production sont actuellement actifs dans le pays, contre 330 seulement voilà 10 ans. Ces entreprises emploient au total 9.260 personnes, soit 15% de plus qu’en 2020 (8.020) et deux fois plus qu’en 2015 (4.460). A l’origine de cette dynamique: la hausse des ventes de jeux vidéos, dopées par l’envolée du nombre de joueurs dans le pays (20 millions actuellement). Selon le DEV, le c.a. des studios espagnols est ainsi passé de 314 millions d’euros en 2013 à 1,38 milliard en 2022, soit un bond de 340%. «Longtemps, les jeux espagnols ont manqué de visibilité. Mais c’est en train de changer», juge Pedro González Calero, professeur d’ingénierie informatique à l’université Complutense de Madrid. Plusieurs éditeurs espagnols historiques disposent d’ores et déjà d’une notoriété internationale, comme The Game Kitchen, dont le jeu «Blasphemous» s’est écoulé à plusieurs millions d’exemplaires, ou les studios madrilènes MercurySteam («Castlevania: Lords of Shadow») et Pendulo («Runaway»). D’autres, fondés plus récemment ou de plus petite taille, sont en train de se faire un nom, à l’image de Tequila Works ou de Nomada Studio, dont le titre «Gris», vendu à trois millions d’exemplaires, a été récompensé en 2019 aux Game Awards de Los Angeles, considérés comme les «Oscars» du jeu vidéo. «Ce prix nous a donné un bon coup de pouce. C’était un peu inespéré car c’était notre premier jeu», raconte Roger Mendoza, cofondateur de ce studio d’une dizaine de salariés créé en 2016 à Barcelone – la ville concentre près d’un tiers des studios de production espagnols. Mi-septembre, Nomada a présenté en grandes pompes son deuxième titre, «Neva», lors d’un événement organisé dans la capitale catalane. Ce jeu, qui sera commercialisé mi-octobre, doit permettre au studio de «poursuivre sa croissance» et de «se lancer dans un nouveau projet», détaille M. Mendoza. Peu à peu, «les studios espagnols gagnent en maturité», en raison notamment de l’arrivée de «capitaux étrangers» qui leur donnent plus de moyens pour mener à bien leurs projets, souligne Pedro González Calero. Mais pour beaucoup, se projeter dans la durée «reste un défi», nuance l’expert. Si le jeu «made in Spain» dispose de points forts, comme la présence d’une filière de formation étoffée et de jeunes très qualifiés, la filière reste en effet fragile économiquement – même si elle a été relativement épargnée par la mini-crise qui touche le secteur mondial depuis un an. «Le marché international est très concurrentiel (…) Pour s’imposer, il faut du talent mais aussi une assise financière solide», insiste José Maria Moreno, pour qui la filière espagnole souffre de l’absence d’un studio faisant «référence», mais aussi d’une «fuite des talents». Selon le syndicat patronal DEV, un studio sur deux a actuellement un c.a. inférieur à 200.000 euros par an. Un niveau trop faible pour pouvoir peser, insiste l’organisation, qui réclame des «mesures» pour «améliorer la vie quotidienne» des créateurs de jeu. Ce syndicat, comme l’Aevi, demande notamment un régime fiscal plus avantageux, sur le modèle de la France ou du Royaume-Uni.