En Irak, la télévision ne peut pas dénoncer la corruption présumée dans l’armée irakienne sur le mode satirique

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La télévision peut-elle dénoncer la corruption présumée dans l’armée irakienne sur le mode satirique? Non et une chaîne l’a appris mardi à ses dépens, lorsque l’autorité des médias l’a sommée de suspendre une émission pour «insulte» à l’institution.
D’ordinaire, «Avec Mulla Talal» (du nom du présentateur Ahmed Mulla Talal) ronronne sur UTV, chaîne privée dirigée par le fils d’un baron sunnite de la politique, Khamis al-Khanjar. Y sont invités des pointures de la politique irakienne. Mais lundi, la chaîne a diffusé une séquence satirique intitulée «Notre vaillante armée, héroïsme et corruption» avec comme «invité» l’acteur Iyad al-Taï grimé en général.
Pendant 10 minutes, l’acteur, qui n’est absolument pas militaire, donne une piètre image de l’armée irakienne: il explique comment il a «acheté» son poste et combien il verse pour le conserver. Lorsque le «général» fait semblant d’appeler en direct un soi-disant ami manifestement haut placé dans un ministère, c’est pour lui demander s’il ne risque pas d’être inclus dans une prochaine charrette.
Mais en Irak, on ne se moque pas de l’armée. Celle-là même qui, avec l’appui d’une coalition internationale, a vaincu militairement l’organisation Etat islamique (EI) fin 2017. Les émissions – sérieuses, celles-ci – sur les faits d’arme des soldats sont légion, de même que les affiches de rue vantant leur courage.
En réaction à l’émission de Mulla Talal, le ministère de la Défense a évoqué dans un communiqué une «offense à la réputation de l’armée».
La Commission des médias et des communications (CMC) s’est jointe à la critique, jugeant que l’émission de lundi avait constitué une «menace pour l’armée, en particulier au moment où les soldats continuent de combattre les cellules terroristes de l’EI».
En conséquence, la CMC a enjoint UTV de «suspendre avec effet immédiat» le talk-show «Avec Mulla Talal», selon un courrier officiel. La chaîne doit aussi «effacer» toute trace de l’émission incriminée de tous ses supports. «J’ai donné un coup de pied dans le nid de frelons», a réagi Ahmed Mulla Talal sur la chaîne Telegram de UTV. «Je ne m’excuserai pas auprès des corrompus», a-t-il lancé.
Les accusations de corruption, notamment envers les fonctionnaires, sont courantes en Irak. Le pays pétrolier est, selon le classement de l’ONG anti-corruption Transparency International, le 160e pays (sur 180) le plus corrompu au monde.