Interrogé hier midi, dans le cadre du Festival de TV de Monte-Carlo, Frank SPOTNITZ, CEO & Producteur exécutif chez Big Light Productions, à qui l’on doit des séries comme «X-Files», «The Man in the High Castle» ou plus récemment «Devils», revient pour nous sur les enjeux du secteur.
MEDIA +
L’intelligence artificielle est-elle un danger pour les scénaristes et le secteur de l’audiovisuel ?
Frank SPOTNITZ
Pour le moment, il ne s’agit pas d’une menace concrète. En revanche, il est certain que cela pourrait le devenir, probablement plus rapidement que nous ne le prévoyons. Il y a des principes sur lesquels on peut convenir aujourd’hui. Certains sont d’ordre économique, morale, culturel et politique. Cependant, il semble que seuls les aspects économiques retiennent l’attention des studios. En tant que citoyens, c’est à nous de veiller à ce que toutes ces valeurs soient prises en compte et sauvegardées. Nous devons tous être conscients de la manière dont l’IA peut être utilisée à bon escient même si les histoires doivent être racontées par des êtres humains.
MEDIA +
La grève des scénaristes à Hollywood est-elle donc justifiée?
Frank SPOTNITZ
L’impact de l’intelligence artificielle sur les scénaristes est l’un des enjeux majeurs derrière les revendications de la grève. L’autre question essentielle concerne la protection des conditions de travail des scénaristes américains. La tendance est à la baisse des salaires. Les studios exigent plus de travail en moins de temps, et avec moins d’effectifs. Cette situation nuit inévitablement à la qualité du travail. Aucun scénariste ne souhaite écrire dans l’urgence et à bon marché. C’est donc une situation douloureuse.
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Les Américains veulent aussi détruire le principe de «writer’s room»…
Frank SPOTNITZ
Oui, c’est exact ! Si vous regardez ce qui s’est passé au cours des dix dernières années, il y a des plateformes de streaming qui ont proposé des séries de très haute qualité. Cependant, elles ont également découvert qu’elles pouvaient générer davantage de profits en produisant des contenus de qualités inégales. Ces productions ne vont pas forcément marquer profondément les spectateurs, mais ces derniers vont tout de même les regarder. En conséquence, on assiste à une diminution de l’ambition créative et à une érosion du pouvoir des scénaristes. Ce phénomène n’est bénéfique ni pour les audiences, ni pour le public, ni pour les grandes sociétés de productions audiovisuelles.
MEDIA +
La série «X-Files», dont vous étiez le showrunner, fête ses 30 ans en 2023. Qu’avez-vous prévu pour l’occasion ?
Frank SPOTNITZ
Bien que n’ayant plus d’implication directe avec la franchise «X-Files», je sais qu’une convention est prévue à Minneapolis en septembre avec la participation du casting et des scénaristes. Connaître un grand succès international est toujours à double tranchant. La série a été relancée il y a quelques années pour deux saisons supplémentaires, mais j’étais déjà engagé sur «The Man in the High Castle» à ce moment-là. Ayant passé une grande partie de ma carrière dans l’univers «X-Files», je me suis demandé ce que je pouvais apporter de nouveau à la série qui soit pertinent aujourd’hui et qui ne soit pas simplement un exercice de nostalgie. Si je parviens à répondre à ces questions, alors je pourrais envisager un retour. J’ai toujours une profonde affection pour ces personnages.
MEDIA +
Comment se porte votre société de production ?
Frank SPOTNITZ
Très bien ! Elle fonctionne presque exclusivement avec des scénaristes européens et britanniques. Nous produisons des séries et coproduisons avec les Français, les Italiens, les Allemands et les Canadiens. Pour continuer à opérer en Europe, j’ai dû devenir producteur, une fonction que j’apprécie beaucoup. Travailler avec d’autres talents me donne l’opportunité de développer une vision commune. Actuellement, nous développons des séries avec Netflix et Amazon, et j’espère pouvoir annoncer très prochainement ma première série télévisée en langue française.
MEDIA +
Que retenez-vous de vos collaborations avec les plateformes?
Frank SPOTNITZ
L’expérience était positive. Ce sont des équipes très compétentes qui ont créé des opportunités inédites pour les scénaristes en Europe, en produisant des séries que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Un aspect qui est souvent sous-estimé est l’impact mondial de séries non anglophones, qui sont regardées par des publics à travers le monde. Cela aurait été impensable il y a quelques années. Les exemples de «Lupin» ou «Squid Game» illustrent bien cet impact culturel mondial.
MEDIA +
La folie des reboots, vous en pensez quoi ?
Frank SPOTNITZ
Les studios semblent être obsédés par l’idée de relancer et de réadapter d’anciennes séries. C’est dommage. L’originalité et la prise de risques devraient être encouragées. Les séries de mon enfance ont eu une influence majeure sur moi et ont contribué à forger l’écrivain que je suis aujourd’hui. Mais plutôt que de se demander comment on pourrait les refaire, la question devrait être : pourquoi ont-elles été si marquantes? Pourquoi ont-elles eu un impact si profond sur nos vies ? C’est cette réflexion qui est réellement intéressante. Nous devrions nous efforcer d’incorporer ces valeurs créatives dans les productions télévisuelles actuelles.
LES DIRIGEANTS
Frank SPOTNITZ
CEO & Producteur exécutif
COORDONNEES
Summit House,
12 Red Lion Square London WC1R 4HQ Royaume Uni
DATE DE CREATION
2013
PRODUCTIONS
«The Man in the High Castle», «Les Médicis: Le Magnifique», «Ransom»…