F. VAULPRE (Glance) : « Dans une industrie en mutation, les chaînes montrent leur résilience »

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Alors que le MIPTV bat son plein à Cannes, Glance révèle les tendances globales en matière de contenus. La multiplication des offres et la consommation non linéaire de contenus transforment profondément le marché de l’audiovisuel, obligeant tous les acteurs à repenser leurs modèles. Entretien avec Frédéric VAULPRÉ, Directeur de Glance.

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Comment les chaînes de télévision traditionnelles s’adaptent-elles à la montée en puissance de la SVOD ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

Les chaînes traditionnelles essayent de coller aux usages et à la délinéarisation. Elles lancent leur propre plateforme et proposent davantage de contenus. Les chaînes publiques ont un avantage sur les chaînes privées : elles ont moins de pression publicitaire sur les revenus. A l’image de ce que fait BBC ou ARTE, elles se donnent la posibilité de maximiser leurs chances d’être vues en poussant à la consommation en preview et à J+28. La délinéarisation peut être aussi un moyen de rajeunir son audience.

MEDIA +

Quelles sont les tendances émergentes en matière de coopération entre les diffuseurs publics européens ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

Nous vivons dans une époque de contraintes budgétaires et d’optimisation d’investissement. C’est pourquoi la coproduction est une véritable opportunité. L’Alliance européenne a initié plusieurs projets dans ce sens : «Le tour du monde en 80 jours», «Leonardo», «The Sworm». Au-delà des broadcasters européens, nous avons aussi repéré la série «Concordia» qui se fait avec France Télévisions, ZDF, Hulu Japan et la chaîne MBC. Ces coproductions sont un moyen d’avoir des productions qualitatives.

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Pour les chaînes privées qui vivent de la publicité, la coproduction avec les plateformes devient monnaie courante…

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

Exact !  Netflix et TF1 se sont associés sur «Le bazar de la charité» et «Les combattantes». Il y a des opportunités de coopération qui sont en train de s’ouvrir puisque les plateformes doivent investir dans des productions locales. Entre l’obligation de garder leurs abonnés locaux et d’attirer des annonceurs pour leur offre publicitaire, le champ des possibles est ouvert. Nous passons à l’ère de la «coopétition». Même s’ils sont concurrents, chaînes et plateformes doivent collaborer. On voit apparaître des alliances qui n’existaient pas il y deux-trois ans.

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Les acteurs de la SVOD sont-ils moins considérés comme des concurrents ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

Les Anglais ont un mot : «frenemy», à la fois un «friend» et un «enemy». Les Pay TV ont une autre approche. C’est ce que fait Sky en Angleterre ou CANAL+ dans beaucoup de pays européens, en étant des agrégateurs de contenus et d’offres SVOD. L’accord entre CANAL+ et AppleTV+ en est une bonne illustration. Cela permet de simplifier la vie du consommateur.

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Quels sont les défis auxquels sont confrontées les chaînes pour monétiser le visionnage non linéaire de leurs programmes ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

Ça c’est l’enjeu des régies publicitaires. Comme les inventaires sont moins nombreux, elles vont devoir être innovantes dans leur «pricing» et leur offre aux clients.

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Comment les chaînes FAST impactent-elles le paysage audiovisuel européen ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

Il y a une explosion de l’offre. 1.500 chaînes sont déjà lancées aux Etats-Unis, et 2.200 en Europe. Les chaînes FAST sont nombreuses mais ça ne veut pas dire qu’elles sont vues. La première chaîne qui sort son épingle du jeu, c’est PlutoTV qui représente 0,8% du streaming. Si les chaînes FAST visent à remplacer les chaînes thématiques, il y a une condition : simplifier leur offre.

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Pensez-vous qu’une mesure d’audience unique soit essentielle pour les acteurs du marché audiovisuel ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

C’est la feuille de route de Médiamétrie. Aux Etats-Unis, il y a déjà une mesure avec Nielsen qui permet d’avoir des éléments comparables avec des chaînes linéaires, du câble, AVOD, SVOD… L’Angleterre est en train d’y aller. On espère que les grands pays européens vont suivre. Si on mesure toutes les données sur des méthodologies différentes, ça devient compliqué.

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La multiplication des offres et la consommation non linéaire de contenus transforment profondément le marché de l’audiovisuel. Et pour demain ?

FRÉDÉRIC VAULPRÉ

La période du Covid a poussé à la digitalisation. La consommation SVOD est montée très fortement avant de redescendre. Ce qui se passe en Angleterre est très intéressant : sur ITV, «Unforgotten» a réalisé la meilleure audience 2023 à date, rassemblant 7,9 millions de téléspectateurs. Le programme a réalisé 31% de son audience en preview, 36% en replay et le reste en live. La compréhension du succès d’un programme ne se fait plus seulement à 9 heures le lendemain de la diffusion linéaire. Mais aussi à J+28 et J-1.