Facebook promet de mieux protéger la vie privée : rêve ou réalité?

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Facebook a promis de mieux respecter
la vie privée pour échapper à la
vindicte populaire, mais sa prospérité
dépend toujours de la montagne de
données générée par ses utilisateurs.
Une contradiction qui suscite un
certain scepticisme.
Son patron et fondateur Mark
Zuckerberg a annoncé mercredi un
virage fondamental, destiné à faire
de Facebook –bâti comme une agora
publique– un lieu d’échanges plus
privé et plus protecteur des données
personnelles, comme si l’on discutait
dans l’intimité de son «salon», à l’abri
des oreilles indiscrètes. Au menu:
primauté donnée aux messageries
privées (Messenger, Instagram
Direct et WhatsApp) –par opposition
au traditionnel «fil d’actualités»
Facebook– avec promesse d’en
crypter les contenus, mais aussi
diversification vers de nouveaux
services, comme le e-commerce, les
paiements en ligne… Une chose est
sûre, assurent les experts des réseaux
sociaux, après plus de deux ans d’un
flot ininterrompu de scandales autour
des données personnelles, et confronté
aux nouvelles attentes des internautes,
Facebook n’avait pas vraiment le
choix. «La réalité, c’est que Facebook
devait faire quelque chose. La
direction vers laquelle il allait n’était
pas durable, en termes de nombre
d’utilisateurs (…) ou de croissance de
chiffre d’affaires», relève Ben Bajarin,
analyste chez Creative Strategies.
«Dr Jekyll et Mr Hyde» : Plutôt
malin de la part de Mark Zuckerberg,
pense Laura Martin, analyste chez
Needham & Co., car «il sait que
Facebook risque d’être encadré»
davantage juridiquement et
transforme donc ses services pour
les rendre moins vulnérables aux
régulateurs, explique-t-elle.
En cryptant davantage de contenus,
Facebook pourrait en effet se défaire
de la responsabilité d’avoir à faire la
chasse aux contenus problématiques.
Quant à la diversification, Laura
Martin rappelle combien Wall Street
«préfère les sources multiples de
revenus». Dans le Washington
Post, Henry Farrell, professeur à
l’université George Washington,
pense aussi que le groupe pourrait
trouver in fine un ««business
model» politiquement plus tenable».
Actuellement, la quasi-totalité
du chiffre d’affaires de Facebook
(56 milliards de dollars en 2018)
provient des revenus publicitaires.
La pub ciblée grâce aux données
personnelles des utilisateurs est
LE modèle économique qui a fait
sa fortune. Si Facebook devait
effectivement progressivement se
détacher de ce modèle, ce serait un
véritable «changement d’époque»,
estime M. Farrell. Mark Zuckerberg
a d’ailleurs reconnu mercredi dans
un entretien au magazine Wired
que, si ses projets en étaient encore
aux prémisses, l’idée était bien que
Facebook collecte et stocke moins
de données. «J’ai bon espoir de bâtir
des systèmes qui peuvent quasiment
créer la même valeur avec seulement
une partie des données», assure le
multimilliardaire, sans dire dans
quelle proportion il ambitionnait de
réduire sa dépendance aux données.
Pour beaucoup d’experts, le jeune
patron veut concilier des choses
totalement contradictoires, dans un
numéro d’équilibriste confinant à
la schizophrénie. Pour Ben Bajarin,
Facebook risque de devenir «Dr
Jekyll et Mr Hyde». Une tentative
de conciliation du pire et du meilleur
qui, dans le roman de Robert Louis
Stevenson, se termine fort mal.