Fin d’une époque chez Lagardère

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A l’issue d’un long bras de fer, le groupe Lagardère (Europe 1, Paris Match, Hachette…) a acté mercredi en assemblée générale sa transformation en société anonyme, entraînant pour Arnaud Lagardère la perte de son pouvoir absolu et l’entrée en force de Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré, au conseil d’administration. Le projet de transformation, présenté fin avril, met fin au statut atypique du groupe en commandite par actions, qui rendait l’héritier de Jean-Luc Lagardère indéboulonnable bien que très minoritaire au capital. Menacé de blocage et confronté aux difficultés économiques de son groupe pendant la pandémie, Arnaud Lagardère, 60 ans, a dû céder face aux puissants actionnaires, mais en obtenant un poste de PDG pour six ans. Avant ce dénouement, la lutte d’influence a duré pendant des mois entre Vincent Bolloré (Vivendi) allié au fonds britannique Amber Capital (l’initiateur de la fronde contre la gouvernance), et l’homme le plus riche de France et PDG de LVMH, Bernard Arnault. Les deux figures du capitalisme français lorgnaient sur les actifs stratégiques de Lagardère, groupe propriétaire de Hachette (3e éditeur mondial), d’une branche de distribution dans les gares et aéroports (Relay), et de médias influents (le JDD, Paris Match, Europe 1). Aujourd’hui, Vincent Bolloré semble avoir remporté la partie. Vivendi, 1er actionnaire avec 29% du capital, a obtenu 3 sièges au CA et pourra compter sur celui d’Amber. Bernard Arnault n’en aura qu’un seul, comme l’actionnaire historique, le fonds souverain du Qatar (13%). Le magnat breton est «un atout et pas une menace», a soutenu Arnaud Lagardère, qui a introduit «sans nostalgie» l’AG visant à «tourner une page» du conglomérat qu’il dirige depuis le décès soudain de son père en 2003. «J’aurais tendance à dire de manière optimiste et positive que les choses ne changeront pas, car l’équipe dirigeante est toujours là», a assuré M. Lagardère. Il n’abdique pas sans «compensation»: lui-même et sa société personnelle se verront attribuer quelque 7% du capital (environ 210 millions d’euros au cours actuel). Avec sa part actuelle, il détiendra donc 14% des actions, de quoi compenser son lourd endettement personnel. Enfin, les nouveaux statuts imposent une majorité aux trois cinquièmes pour les décisions touchant aux cessions d’actifs importants, et une majorité aux deux tiers pour révoquer le PDG ou le directeur général délégué (un poste qui sera occupé par Pierre Leroy). «L’idée est de garder l’intégrité de ce groupe» en conservant les deux branches édition et distribution, et les activités médias, a assuré Arnaud Lagardère. Pour autant, l’ombre de Vivendi plane déjà sur Lagardère, et en particulier sur la radio Europe 1, dont les audiences sont au plus bas et dont la direction prévoit des «synergies» avec CNews, la chaîne info du groupe Canal+, appartenant à Vivendi. «Je ne vois pas pourquoi, pour faire plaisir à certains détracteurs, nous devrions continuer à nous isoler. On a besoin de faire des partenariats sur l’information, sur le sport, sur la musique, sur le cinéma, et qui mieux que le groupe Canal+ peut nous offrir ce genre de partenariats», a argumenté Arnaud Lagardère, assurant qu’Europe 1 et Canal+ faisaient partie de la même «famille». Au programme, une nouvelle émission commune présentée par Laurence Ferrari, un «grand rendez-vous» politique confié à Sonia Mabrouk, l’arrivée de Dimitri Pavlenko, coéquipier d’Eric Zemmour dans «Face à l’info», à la matinale… Inquiètes qu’Europe 1 ne devienne «une radio d’opinion» et de «l’emprise croissance de Vincent Bolloré dans les médias», quelque 150 personnes se sont rassemblées mercredi devant les locaux de la station. «Europe 1 est un média qui perd environ 20 millions d’euros chaque année. L’indépendance est aussi soutenue par la capacité à ne pas perdre d’argent, à défaut de ne pas en gagner», leur a déclaré Arnaud Lagardère pendant l’AG, citant également l’impact du Covid-19 et la consolidation du monde des médias.