J. CHAPUIS (La Croix) : «Seuls 62 % des Français disent s’intéresser à l’actualité»

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Jamais l’intérêt pour l’actualité et la confiance envers les médias n’ont été aussi faibles à la veille d’une présidentielle. C’est ce qui ressort du 35ème Baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar Public-Onepoint pour «La Croix». Détails avec Jérôme CHAPUIS, Directeur de la rédaction de «La Croix».

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Fortement consommés, mais pourtant très critiqués, pourquoi la confiance vis-à-vis des médias est-elle si faible ?

Jérôme CHAPUIS

C’est d’abord l’histoire d’une déception à l’égard d’une fonction du journalisme que les Français tiennent en très haute estime. Selon eux, les médias jouent un rôle essentiel dans la démocratie. Pourtant, le crédit que les Français leur accordent est en baisse. La confiance envers les différents modes d’information s’érode de façon contrastée, avec une convergence des médias traditionnels (de 44% à 49% de crédibilité) et une chute d’Internet (à 24%). Ce qui est beaucoup plus frappant, c’est la baisse de l’intérêt pour l’actualité en 2021 par rapport à 2020. Il faut dire que les Français avaient le temps de consulter les journaux (avec les confinements successifs et le télétravail), couplé avec un appétit naturel pour l’actualité. La relation des Français à l’égard des médias est très paradoxale. Ils en attendent beaucoup, mais sont globalement déçus. Les sondés se font une très haute idée de journalisme qu’ils estiment «utile» et «indispensable» pour la démocratie. Selon notre étude, les Français jugent à 91% «important» ou «essentiel» que les médias soient «indépendants des intérêts et des milieux économiques».

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Seuls 62% des Français disent s’intéresser à l’actualité. Y’a-t-il un rejet d’une partie de la population sur l’actualité souvent anxiogène ?

Jérôme CHAPUIS

Le monde a toujours été anxiogène ! En revanche, ce qui est nouveau depuis une quinzaine d’années, c’est l’irruption de l’information en continu dans la vie de chacun, et l’intervention d’une information désintermédiée. Bien souvent, l’information arrive non pas par les intermédiaires (que sont les journalistes ou les médias), mais par les réseaux sociaux qui ont tendance à privilégier les actualités à forte charge émotionnelle. Tous les sociologues des médias que nous avons interrogés nous disent qu’il y a de plus en plus de Français qui se sentent oppressés par l’actualité. Un Français qui possède un smartphone reçoit chaque jour 46 notifications en moyenne. C’est très intrusif. Le public est beaucoup plus au contact de l’actualité et d’informations parfois brutales. Cela suscite une forme de saturation. En 2021, les Français se sont un peu moins informés par Internet (32%, – 2 points) au profit de la télévision (48%, +2) et de la presse papier (6%, + 1).

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La crédibilité des médias, est-ce le nouvel enjeu ?

Jérôme CHAPUIS

La question du crédit et de la confiance a toujours été au cœur de notre profession. Dès lors que nous sommes dans un média, il y a un cercle de confiance qui nous entoure. Ce qui est certain, c’est que nous avons un énorme chantier devant nous. L’espace public s’est complètement décomposé du fait des nouvelles technologies. Nous avons à rebâtir un lien de confiance, et cela prend énormément de temps. Nous sommes dans un moment très particulier de l’histoire des médias. Les journalistes doivent redoubler d’efforts pour mériter la confiance.

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Les réseaux sociaux sont fortement consommés malgré la défiance qu’ils suscitent. Comment analysez-vous ce paradoxe ?

Jérôme CHAPUIS

Les réseaux sociaux sont dans notre vie au quotidien. Le tiers des Français qui s’informe d’abord sur Internet (32%, -2 points sur un an) consulte désormais en priorité les réseaux sociaux (26%, + 6 points) malgré la défiance qu’ils suscitent. Les Français semblent très conscients que l’on y trouve à boire et à manger. Pour les médias, c’est un défi car les réseaux sociaux ont déstabilisé les modèles économiques en captant une manne publicitaire. Les réseaux sociaux déstructurent de fait notre travail de hiérarchisation de l’information. C’est à nous de prendre en compte ce nouvel environnement, y compris quand un article arrive à nos lecteurs par le biais des réseaux.