Cofondateur d’une licorne de la Tech, Jonathan Anguelov lève le voile sur son passé d’enfant placé dans des familles d’accueil, pour prouver aux jeunes de milieux modestes qu’ils peuvent forcer le destin. Le fondateur d’Aircall, spécialisée dans la téléphonie d’entreprise, retrace comment il a «fait de ce passé une force» dans le livre «Rien à perdre» (Alisio) paru en mars. «Rien ne me prédestinait au monde dans lequel j’évolue aujourd’hui. J’ai grandi en famille d’accueil. Etre à la tête d’une entreprise valorisée plus d’un milliard d’euros et d’un patrimoine d’hôtels et immeubles à Paris, je ne pouvais pas l’imaginer gamin», explique l’entrepreneur de 38 ans. Né de père inconnu, il est élevé seul à Paris par une mère qui a fui la Bulgarie communiste dans les années 70. Victime d’une escroquerie qui l’a ruinée, elle bascule dans la dépression et l’alcool. Les services sociaux sont alertés. A partir de 12 ans, il est placé par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) dans des familles d’accueil en banlieue et en foyers. Quand il rend visite à sa mère, il dort par terre car elle loue sa chambre pour s’en sortir. A 14 ans, soucieux de gagner de l’argent, il achète sur des sites internet chinois des bijoux fantaisie pour une poignée de centimes qu’il revend quelques euros, gagnant environ 600 euros par mois. A 18 ans, il achète une chambre de service qu’il rénove et met en location. Grâce à des prêts étudiants, il en achète d’autres, avec cet instinct d’»avoir une maison qu’on ne m’enlèvera pas». Il enchaîne les petits boulots, devenant tour à tour livreur de pizza, vendeur de journaux, ou baby-sitter. Un soir, alors qu’il livre des pizzas, il se retrouve face à des jeunes qu’il a connus au collège, «sur leur 31, dans un magnifique appartement». «Il pleuvait, je suis trempé de la tête aux pieds et ils rigolent en me voyant: «Mais c’est Jonathan, on était avec lui en sixième!»». «Je subis une humiliation horrible. Je ne veux plus jamais revivre ça. Ça m’a poussé à me mettre dans le droit chemin, faire des études, aller plus loin que ce à quoi les conseillers d’orientation, les assistantes sociales me prédestinaient», confie-t-il. Dans les foyers, il côtoyait «des jeunes qui avaient décroché scolairement». «Je les voyais évoluer vers le deal, des braquages. J’ai été pris dans des bagarres. Il fallait que je fuie ce monde-là». Comme beaucoup d’enfants de l’ASE, il est orienté vers des études courtes, un bac technologique, afin d’être autonome à 18 ans. Mais il prolonge avec un DUT, puis accède à une prestigieuse école de commerce. Plutôt que de rejoindre une grande entreprise ou une banque, il choisit l’entrepreneuriat et fonde Aircall. Pendant des années, il se verse moins d’un smic. Aujourd’hui, cette entreprise franco-américaine fait près de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il en reste actionnaire, mais se consacre à Aguesseau Capital, sa foncière immobilière qui possède des dizaines d’immeubles (hôtels, bureaux) à Paris et à ses activités de business angel avec plus de 40 investissements dans des startups. Il a été classé en avril parmi les 100 jeunes dirigeants qui font bouger l’économie française, par l’Institut Choiseul. Après avoir longtemps tu ses origines, il publie «Rien à perdre» pour «inspirer» les jeunes de milieux modestes, leur «donner envie d’avancer» et de se lancer dans l’entrepreneuriat. «Ce que je suis devenu est beaucoup lié à cette enfance difficile, où on se prend des claques et où on se relève», assure-t-il. «Aujourd’hui je vois mon placement comme positif. L’Ase m’a sauvé, elle m’a donné un toit, m’a nourri et m’a permis de faire des études. Ma maman parlait très mal français, elle était en grave dépression», reconnaît-il. A cette mère aujourd’hui décédée, il aurait voulu «montrer que son fils a avancé tout droit». «Toute sa vie, elle a eu honte d’avoir dû me placer et s’est dit qu’elle avait gâché mon avenir». «Je voudrais qu’elle sache qu’à force de travail je suis arrivé où je suis».