La production de feuilletons télé reprend au rythme du nouveau coronavirus

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Des dizaines de paysans patientent parmi les caféiers sous le soleil de Colombie. Soudain, un ordre fuse: «Otez les masques, on tourne!» Après la paralysie de la pandémie, la production de feuilletons télévisés reprend, mais au rythme du nouveau coronavirus. Les «telenovelas» latino-américaines sont désormais soumises aux désinfections, tests Covid-19, jauges d’affluence, masques, budgets réduits par la crise et craintes de contagion… loin du romantisme à l’eau de rose qui font leur succès. «Café con aroma de mujer» (Café à l’arôme de femme, ndlr), remake d’un feuilleton des années 1990 écrit par le Colombien Fernando Gaitan, est en tournage à Chinchina (département de Caldas, centre). En mai, au deuxième mois d’un confinement imposé jusqu’à fin août, cela semblait inenvisageable. «Nous pourrons vraiment commencer à enregistrer lorsque tout sera terminé parce qu’il y aura un vaccin», déclarait Guillermo Restrepo, conseiller de la chaîne RCN, diffuseur de cette série télévisée. Depuis septembre toutefois, les productions ont graduellement repris, en observant des protocoles sanitaires stricts dans une Colombie qui a dépassé 1,5 millions de cas de Covid-19. Le pays a compté plus de 42.000 morts pour 50 millions d’habitants. Selon l’Association nationale des médias, le confinement, ordonné par le gouvernement le 25 mars et prolongé plusieurs fois, a contraint RCN et sa concurrente Caracol à arrêter 38 productions. «Nous allions commencer à enregistrer en avril et, juste dix jours avant (…) nous nous sommes retrouvés en quarantaine pour presque six mois», rappelle Yalile Giordanelli, productrice de «Café à l’arôme de femme». Nombre des 270 personnes y travaillant étaient déjà dans les studios lorsque la nouvelle est tombée. «On nous a dit de tout ranger, de rentrer chez nous. C’était provisoire (…) Quand ça s’est prolongé, c’est devenu désespérant», se souvient Adriana Ortiz. La chaîne a maintenu le contrat de cette maquilleuse de 54 ans, avec un salaire réduit. «Il a fallu se serrer un peu la ceinture», admet-elle. Plusieurs de ses collègues n’ont pas eu la même chance. Selon le Département administratif national des statistiques (Dane), le secteur des arts et divertissement a été l’un des plus affectés par la pandémie: 203.000 emplois perdus entre octobre 2019 et le même mois de 2020. Les productions audiovisuelles se heurtent aux exigences de la distanciation sociale. Le travail des maquilleurs, costumiers et acteurs implique la proximité physique et des dizaines de personnes occupent les plateaux pour l’éclairage et l’enregistrement. De l’autre côté de la caméra, les comédiens de «Café à l’arôme de femme», Laura Londoño et William Levy, se parlent sans masque, très proches, illustrant l’histoire d’amour entre leurs personnages Paloma et Sebastian. «Si nous étions astronautes, nous garderions la distance, mais nous sommes acteurs, nous travaillons avec la voix, avec le corps», explique Katherine Velez, qui interprète Carmenza, la mère de Paloma. La distanciation étant impossible, toute l’équipe se soumet à un test PCR chaque lundi. Bien que la majorité loge dans l’hacienda où est tournée la telenovela, le plateau n’est pas une bulle: tous peuvent rendre visite à leurs proches durant leurs congés. L’industrie des telenovelas joue sa survie sur fond de contradiction. «Comme les gens restent chez eux, ils regardent davantage la télévision (…) mais d’un autre côté, les entreprises (…) ont cessé d’investir dans la publicité» du fait de la crise économique, déplore Mme Giordanelli. Cela se traduit par des budgets réduits pour des productions confrontées à des coûts logistiques accrus. Le virus ne bouleverse pas seulement la réalisation, il s’est aussi imposé au coeur des histoires. Des scènes de grandes fêtes ont ainsi été remplacées par des petites réunions familiales.