La vente directe de contenus en pleine expansion

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Sous forme de courriels, lettres d’information, voire textos, de plus en plus de journalistes de presse écrite contournent les médias traditionnels pour vendre directement, avec succès, leurs contenus aux lecteurs, suscitant l’intérêt de Twitter ou Facebook. De plus en plus de journalistes deviennent ainsi entrepreneurs et cherchent directement des lecteurs payants. La lettre d’information existait bien avant internet, gratuite ou payante. Cette nouvelle vague tient à l’apparition d’outils numériques mais surtout à de nouvelles pratiques. «Il y a 10 ans, l’idée d’un abonnement était peu répandue», rappelle Jeremy Caplan, responsable pédagogique de l’école de journalisme de CUNY, à New York. Netflix, puis Spotify, sont passés par là. Aujourd’hui, dit-il, «les gens sont abonnés à des tas de choses» et ouverts à l’idée de «micro-abonnements» de quelques dollars pour soutenir financièrement un podcast ou lire une lettre d’information. La crise de la presse, qui a multiplié fusions, disparitions de médias et licenciements, a aussi poussé les journalistes à explorer des modèles alternatifs. «Le manque de salaires décents, de couverture médicale proposés par les groupes de presse, fait que de plus en plus de gens s’en vont, chez Substack ou ailleurs», observe Jon Schleuss, président de la NewsGuild, principal syndicat américain de la presse. Premier avantage pour les auteurs devenus indépendants, le paiement direct, après prélèvement d’une commission de 10% pour Substack. «En tant que journaliste free-lance, on est payé dans les temps, ça change beaucoup de choses financièrement», explique Anna Codrea-Rado. Substack compte aujourd’hui plus de 500.000 abonnés payants, avec un tarif mensuel entre 5 et 10 dollars pour la plupart des newsletters les plus lues. Les dix publications les plus populaires ont généré, au total, plus de 15 millions de dollars de revenus l’an passé, a indiqué la plateforme. Politique et pop-culture arrivent en tête des sujets les plus lus. Souvent, les auteurs proposent une partie de contenu gratuit, voire l’associent à un podcast, pour élargir leur audience, éventuellement générer des revenus publicitaires et créer un sas avant l’abonnement. «Pour moi, la meilleure chose dans tout ça, c’est que je ne suis associé à aucune marque, aucune institution», explique Isaac Saul, créateur de la lettre d’information politique américaine Tangle, forte d’environ 3.000 abonnés payants. Pour David Sirota, fondateur de «The Daily Poster», projet pour lequel travaillent plusieurs journalistes, le contact direct instaure une relation aux lecteurs plus saine que celle de beaucoup de grands médias, qui prétendent à l’objectivité. «The Daily Poster» s’appuie «sur nos abonnés pour leur retour, leur apport et leurs idées de sujets. Ils ne sont pas uniquement notre audience mais font partie intégrante de notre équipe», souligne-t-il. Tous décrivent une relation plus apaisée, loin des réseaux sociaux. «Ce n’est pas pour tout le monde», prévient néanmoins Jeremy Caplan, qui propose à l’école CUNY un programme d’accompagnement car cette forme d’indépendance signifie aussi précarité, incertitude et investissement total. «Etendre sa couverture, faire croître son audience, ça prend du temps», prévient David Sirota. «Il n’y a pas de raccourci possible». Avec l’appétit croissant pour ce format, la compétition se durcit. Substack doit déjà faire face à Ghost, plateforme aux tarifs attractifs, mais aussi au champion de l’économie artistique participative, Patreon, ainsi qu’à TinyLetter ou ButtonDown. En janvier, Twitter a racheté Revue, petit acteur du marché, et mi-mars, Facebook a dévoilé un projet directement inspiré des plateformes existantes. Quant aux médias traditionnels, ils n’ont pas à craindre cette nouvelle forme de journalisme, complémentaire plutôt que concurrente, estime Isaac Saul. Globalement, «c’est une bonne chose pour le secteur», dit-il.