L’actrice Youn Yuh-jung, première Sud-coréenne à remporter l’Oscar du second rôle féminin

420

L’actrice septuagénaire sud-coréenne Youn Yuh-jung, qui a remporté dimanche l’Oscar de la meilleure actrice dans un 2nd rôle, a toujours affectionné les rôles de personnages anti-conformistes qui, comme elle, bousculent les valeurs traditionnelles profondément ancrées dans la société sud-coréenne. Dans «Minari», un drame familial sur des Coréens immigrés aux Etats-Unis qui a obtenu six nominations aux Oscars, elle campe pourtant un personnage ordinaire: la grand-mère d’un enfant qui tente de s’intégrer dans l’Etat très rural de l’Arkansas. Ce drame familial est le 2ème film en sud-coréen à remporter un Oscar, après le triomphe l’an passé de «Parasite», couronné notamment meilleur film. Depuis le début de sa carrière prolifique, il y a plus d’un demi-siècle, Mme Youn, mère de 2 enfants nés aux Etats-Unis, affectionne les personnages féminins provocants et singuliers. A quelques semaines de la cérémonie des Oscars, la comédienne de 73 ans en minimisait cependant les enjeux, estimant que cette nomination avait «autant de valeur que le prix lui-même». Pour le Sud-coréen Bong Joon-ho, sacré en 2020 «meilleur réalisateur» pour son film «Parasite», c’est «le plus beau personnage qu’elle ait jamais joué».Ce prix ne récompense pas seulement «sa performance dans «Minari», mais il couronne une illustre carrière au cours de laquelle elle a travaillé avec de nombreux grands réalisateurs coréens», souligne Brian Hu, professeur de cinéma à la San Diego State University. Née à 1947 à Kaesong, une ville désormais située en Corée du Nord, elle a débuté en 1971 sous la direction du réalisateur avant-gardiste Kim Ki-young dont le travail continue d’inspirer des cinéastes sud-coréens, parmi lesquels M. Bong. Dans ce film, «La Femme de feu», elle incarnait une domestique au sein d’un foyer de la classe moyenne tombée enceinte du père de famille. Ce thriller, devenu un classique du cinéma sud-coréen, lui a valu plusieurs prix. Sa carrière s’est pourtant brusquement arrêtée en 1975, après son mariage avec le chanteur Jo Young-nam et son départ pour les Etats-Unis. Moins de dix ans plus tard, en 1984, elle rentre dans son pays natal avant de divorcer 3 ans plus tard. Renouer avec sa carrière d’actrice afin de subvenir aux besoins de ses deux fils n’a pas été aisé, à une époque où le divorce était stigmatisé en Corée du Sud. «Être divorcée, c’était comme avoir commis un adultère», a raconté en 2009 Mme Youn à un magazine. «C’était comme si les femmes ne devaient pas apparaître à la télévision très vite après leur divorce». Elle accepte donc toutes les propositions, même les petits rôles, avant d’apparaître régulièrement, durant les années 90, dans des séries télévisées, dans le rôle d’une mère de famille, puis, plus tard, d’une grand-mère. En 2003, Mme Youn fait son retour sur le grand écran dans «Une femme coréenne» d’Im Sang-soo, sous les traits d’une belle-mère anti-conformiste au sein d’une famille déséquilibrée. Elle est ensuite une riche et cruelle héritière trompée par son époux en 2012 dans le drame «L’Ivresse de l’argent». En 2016, dans «Canola», elle est une plongeuse en apnée qui ramasse des coquillages et retrouve sa petite-fille depuis longtemps disparu. La même année, elle est saluée pour sa performance dans «The Bacchus Lady» de L J-yong, dans lequel elle joue le rôle d’une prostituée âgée contrainte de commettre des crimes. Tout au long de sa carrière, elle a fait face à un «univers hautement compétitif» dans un univers cinématographique «largement tourné vers de jeunes talents, souvent masculins» pour les rôles principaux, a expliqué Jason Bechervaise, professeur à la Korea Soongsil Cyber University de Séoul. L’Oscar remporté par l’actrice de «Minari» intervient dans un contexte de violences contre la communauté asiatique à travers les Etats-Unis.