L’Afrique est entrée en compétition au Festival de Cannes avec un film tchadien

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Largement sous-représentée dans la production cinématographique mondiale, l’Afrique est entrée en compétition au Festival de Cannes avec un film tchadien sur l’avortement et l’excision, mettant en scène des femmes unies pour survivre dans une société ultra-conservatrice. «Lingui, les liens sacrés» du réalisateur Mahamat Saleh Haroun, qui avait reçu le Prix du jury à Cannes en 2010 pour «Un homme qui crie», est l’un des deux films du continent (sur 24 au total) en lice pour la Palme d’or, aux côtés de «Hauts et fort» du Marocain Nabil Ayouch. Dans l’histoire du festival, un seul réalisateur issu du continent africain s’est vu décerné la distinction suprême: l’Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina en 1975 avec «Chronique des années de braise». Habitué du festival (son deuxième long-métrage «Abouna» avait été sélectionné en 2002 à la Quinzaine des réalisateurs), Mahamat Saleh Haroun ne s’en lasse toujours pas : «C’est vraiment un plaisir d’être là aujourd’hui, à chaque fois, ce sont des émotions nouvelles», dit-il. Conscient d’être le seul représentant de l’Afrique subsaharienne, Mahamat Saleh Haroun, assume d’en être une de ses voix, sans pour autant vouloir être réduit au rang de porte-parole de cette région: «Je ne suis qu’un vent qui passe mais pour que la vie continue il faut aussi d’autres vents, des bourrasques», plaisante-t-il. «On essaye modestement de faire avancer les choses. En filmant au Sahel, j’ai aussi conscience que c’est un lieu où je peux produire des images positives dans un endroit où la vie est un cauchemar permanent», souligne celui qui a été un temps ministre de la Culture et du Tourisme de son pays. Filmé dans les faubourgs de la capitale tchadienne N’Djamena, le film raconte l’histoire d’Amina, mère seule, qui découvre que sa fille de 15 ans, Maria, est enceinte. Une grossesse, fruit d’un viol, que l’adolescente ne veut pas, dans un pays où l’avortement est condamné par la religion, mais aussi par la loi. Seules, marginalisées, surveillées, le film dresse un portrait fort de femmes qui tentent de survivre dans un milieu hostile où patriarcat et religion empoisonnement la vie des femmes. Seule lumière d’espoir, «le lingui», lien que les femmes vont tisser entre elles pour tenter de s’en sortir. Comme lorsque Amina, fait le choix de soutenir sa fille dans sa quête pour avorter, allant à l’encontre de sa foi. Pour son réalisateur, le film ne traite pas seulement de la question de l’avortement mais du «quotidien des femmes» au Tchad. «C’est un film sur les héroïnes du quotidien (..) Ce sont elles qui portent le monde qui les maintient dans une forme de domination. Parler des femmes c’est forcément parler de tous ces problèmes», souligne-t-il. «Ces femmes ce sont des coureuses de haies… Chaque jour les haies à sauter sont plus nombreuses et la vie toujours plus difficile pour elles», poursuit-il. Tout au long du récit, le spectateur sent le regard bienveillant du réalisateur sur ces femmes en quête désespérées d’émancipation, à l’heure où le cinéma s’interroge sur le regard masculin dans les films (male gaze). «En tant qu’homme, je fais partie du patriarcat mais on arrive toujours en tant qu’individus en conscience à se débarrasser de tout ce qu’on a eu en héritage. Il faut croire en cette possibilité que l’homme puisse changer», assure-t-il. Un film dépouillé, qui réussit le pari de transporter le spectateur dans la réalité de N’djamena. «J’ai grandi dans le dépouillement, pour moi c’est important d’aller à l’essentiel», détaille-t-il. L’autre film au programme de la compétition de cette troisième journée de festival est le long-métrage du Norvégien «Julie (en 12 chapitres)» de Joachim Trier. Tard jeudi soir la star américaine Matt Damon déboulera sur le tapis rouge pour «Stillwater» de Tom Mc Carthy, hors compétition.