Le film en réalité virtuelle, une offre culturelle encore tâtonnante, mais au potentiel de création illimité

Debout, arborant de disgracieux casques noirs, une poignée de personnes évoluent en un ballet muet dans une grande salle parisienne, à la découverte d’une offre culturelle encore tâtonnante, mais au potentiel de création illimité: le film en réalité virtuelle. Au début du mois, le 104, un lieu culturel et d’innovation géré par la mairie de Paris, proposait au public de venir regarder des oeuvres en réalité virtuelle présentées au même moment dans une section spécialisée de la Mostra de Venise. En raison de l’épidémie de Covid-19, le prestigieux festival a décentralisé dans 14 endroits dans le monde la présentation de ces oeuvres qui immergent le spectateur dans un monde virtuel et une histoire, avec un degré variable d’interactivité. Ces réalisations offrent une «expérience», qui n’est «ni un jeu vidéo, ni un film de cinéma», explique Avi Amar, le patron de Floréal Films, qui a produit deux films en compétition: «The Hangman at home» (25’) et «Minimum Mass» (20’).Dans «Minimum Mass» (au budget de production compris entre 600.000 et  900.000 euros), «on utilise la technologie pour se glisser dans l’esprit et le monde d’un couple qui ne parvient pas à avoir d’enfant», raconte-t-il. La scène flotte dans les airs et le spectateur peut tourner autour, s’en rapprocher, la faire monter ou descendre. Mais le déroulement de l’histoire est indépendant des actions du spectateur. Dans «The Hangman at home» (couronné à la Mostra, dans la catégorie «oeuvre immersive»), c’est au spectateur de se débrouiller pour comprendre comment avancer dans l’histoire: ouvrir des portes ou fenêtres, se baisser pour regarder sous un bureau, recommencer … Plus extrême encore, «A taste of hunger», une oeuvre danoise de 15’ également en compétition à Venise, laisse le spectateur ordonner lui-même les différents volets de l’histoire d’un couple, via ses déplacements sur une  sorte de marelle virtuelle… au risque d’une certaine incompréhension.Tâtonnant dans sa forme, le film en réalité virtuelle l’est aussi dans sa recherche d’un véritable circuit commercial, explique Camille Lopato, fondatrice de Diversion Cinema.Sa petite société aide notamment les producteurs à placer les oeuvres sur les grandes plateformes internet spécialisées, qui diffusent aux particuliers propriétaires de casques des contenus de réalité virtuelle – essentiellement des jeux vidéos pour l’instant: celles d’Oculus (le fabricant propriété de Facebook), SteamVR, le chinois VeeR VR… Ces plateformes sont la voie royale pour permettre au grand public d’accéder aux oeuvres de chez lui. Malgré les «pics d’enthousiasme» récurrents à chaque sortie d’un nouveau casque plus performant, leur diffusion reste souvent marginale, explique-t-elle. D’où le développement depuis 2018 d’une diffusion des oeuvres dans des  lieux spécialement équipés. «Il commence à émerger un petit réseau» sur la planète, à l’image de ces 14  lieux choisis en lien avec la Mostra, explique-t-elle. Mais ces lieux offrent  en général une jauge basse, puisque la réalité virtuelle requiert de  l’équipement, de la place, voire un accompagnement pour chaque spectateur. Le 104 ne pouvait ainsi accueillir que 60 spectateurs par jour, soit 480 sur les huit jours de l’événement. Chaque créneau d’une heure était vendu 10 euros.

Les créateurs et les producteurs de leur côté tentent de s’adapter, de manière par exemple à ce que l’expérience vécue aille au-delà de la simple visualisation et que le ticket puisse être vendu un peu plus cher.«On ne parle plus d’une expérience qui dure 20’ pendant qu’on est dans le casque, mais on parle d’une exposition qui dure 1 heure, avec 20’ dans le casque», souligne Camille Lopato.