Le flic et le Tchétchène, stars improbables sur TikTok

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«Je risque quoi en faisant des graffitis?», «il se passe quoi si j’ai pas mes papiers?»: en Autriche, un jeune Tchétchène et un policier ont formé un improbable duo pour répondre aux questions des ados sur TikTok. «Cop & Che» fait un tabac avec de courtes et percutantes vidéos, déjà visionnées plus de 2,6 millions de fois. Uniforme bleu d’un côté, allure décontractée de l’autre: dans un contraste saisissant, les deux complices se retrouvent régulièrement depuis novembre dans une galerie marchande de Vienne pour tourner avec un smartphone des séquences de moins d’une minute. C’est Ahmad le «Che», un travailleur social de 23 ans, qui est à l’origine de ce projet. Son but: briser la glace avec la police et casser les clichés sur sa communauté, souvent associée dans les médias à la criminalité et à l’extrémisme religieux. Les forces de l’ordre avaient pensé à des jeux d’échec ou des matchs de football. Des idées d’un autre temps, s’est amusé le jeune homme qui a alors proposé ce format sur le populaire réseau social chinois. «J’ai souvent eu des problèmes avec la police», explique-t-il, veste crème stylée et barbe claire bien taillée. «Quand j’allais au poste pour demander ce qu’on avait le droit de faire et ce qui était interdit, je me faisais rembarrer», raconte-t-il en marge de l’enregistrement d’une nouvelle série. En Uwe le «Cop», un agent de quartier bienveillant de 59 ans, Ahmad a trouvé le partenaire idéal, soucieux d’entendre «les critiques» et de bâtir «une confiance réciproque». Le grisonnant fonctionnaire se prête volontiers à l’exercice, pas toujours simple devant le vocabulaire parfois énigmatique des adolescents et le flot d’emojis accompagnant les questions. Les vidéos sont validées avant leur diffusion par la police, qui s’assure que les informations données sont exactes. Elle espère ainsi nouer «le dialogue, l’une des choses les plus importantes» en matière d’intégration, souligne Uwe. L’Autriche, terre de 9,1 millions d’habitants au coeur de l’Europe, accueille quelque 35.000 Tchétchènes, la plus grande communauté en diaspora par habitant, sur 250.000 en Europe. Comme Ahmad, beaucoup sont arrivés tout petit avec leur famille fuyant la guerre, et n’ont pas de papiers officiels – juste un laisser-passer autrichien faute de pouvoir se faire naturaliser dans ce pays où s’applique le droit du sang. Les jeunes de cette minorité se plaignent régulièrement d’être ciblés lors de contrôles d’identité, voire d’être victimes de violences. En 2021, des policiers ont  été condamnés après la révélation d’images de vidéosurveillance les montrant en train de tabasser un Tchétchène en se croyant à l’abri des regards. Aucun des deux hommes – qui ne donnent pas leur identité complète pour préserver leur tranquillité – ne savaient comment cette prise de risque allait être perçue par les Tchétchènes comme par les policiers. D’autant que le ton est léger et plein d’humour pour mieux faire passer les messages. Après des débuts discrets, la nuit de la Saint-Sylvestre a marqué un tournant: la vidéo faisant le point sur les règles relatives à l’utilisation du matériel pyrotechnique a connu un succès fulgurant, qui ne s’est pas démenti depuis. Les nombreuses questions ne viennent plus seulement de la communauté, mais de toute la jeunesse, qui n’oserait pas s’adresser à la police autrement que sur TikTok.Des enseignants passent les vidéos en classe et «on m’arrête pour faire des selfies», sourit le policier, surpris par un tel engouement. En 40 ans de carrière, il n’avait jamais connu un tel honneur. Rançon de la gloire, Ahmad doit parfois s’expliquer sur sa démarche auprès de certains jeunes qui l’accusent d’être passé du côté de la répression. «Mais je m’en fiche, je fais ce que je veux», lance-t-il.