Le groupe norvégien de télécoms Telenor se désengage de Birmanie

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Conséquence du coup d’Etat militaire, le groupe norvégien de télécoms Telenor se désengage de Birmanie en vendant sa très rentable filiale, l’un des plus gros opérateurs du pays, à une entreprise soupçonnée de liens avec la junte. Telenor Myanmar et ses quelque 18 millions d’abonnés dans la téléphonie mobile vont être cédés pour 105 millions de dollars à la compagnie financière libanaise M1 Group, a annoncé Telenor jeudi. «La situation en Birmanie au cours des derniers mois est devenue de plus en plus difficile pour Telenor pour des raisons de sécurité des personnes, de réglementation et de conformité» aux règles, a expliqué le DG, Sigve Brekke. «Nous avons évalué toutes les options et nous pensons qu’une vente de l’entreprise est la meilleure solution possible dans cette situation», a-t-il ajouté dans un communiqué. La décision est douloureuse pour l’opérateur qui cède, à perte, un actif qui, selon la presse norvégienne, était devenu sa deuxième filiale la plus rentable.Fondée par le milliardaire et ex-Premier ministre libanais Najib Azmi Mikati et son frère, M1 figure sur une liste noire établie par le mouvement Burma Campaign UK, qui recense les entreprises internationales faisant des affaires avec les militaires birmans. Selon un rapport de 2019 du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, la société détient des parts dans Irrawaddy Towers Asset Holding, une entreprise qui loue des tours télécoms à MEC, détenu par l’armée. «Dans la situation actuelle, il n’a pas été possible pour Telenor de mener un processus de vente ordinaire», a précisé le groupe norvégien. Professeure de commerce international à la Curtin University en Australie, Htwe Htwe Thein exprime «une énorme inquiétude concernant les questions de confidentialité» après cette transaction. «Le repreneur ne se souciera pas des engagements en matière de droits de l’Homme comme Telenor l’a fait», a-t-elle estimé, mais il «se conformera aux exigences de l’armée». «Fin de partie pour le peuple du Myanmar qui dépend énormément des médias sociaux pour envoyer des messages, pour promouvoir sa cause», a-t-elle averti. Arguant de fraudes lors d’élections législatives largement remportées par son parti, l’armée birmane a évincé la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi le 1er février, lors d’un coup d’Etat qui a provoqué des manifestations durement réprimées. Le putsch a aussi intensifié les tensions entre militaires et certains des nombreux groupes ethniques qui composent le pays, où les connexions internet et les flux de données ont par moment été très perturbés pour empêcher la contestation de s’organiser et la population de s’informer. Selon l’ONU, près de 900 personnes ont été tuées dans la répression et des milliers d’autres ont fui vers les pays voisins. Au moins 5.200 ont aussi été arbitrairement arrêtées. Le rapporteur spécial de l’ONU, Tom Andrews, a accusé mercredi la junte de «crimes contre l’humanité». Depuis le putsch, les entreprises internationales sont sous pression pour se retirer de Birmanie où l’armée contrôle une partie du tissu économique. Le français TotalEnergies est encore sur place mais a pris des mesures: fin du projet de développement d’un nouveau gisement, arrêt des campagnes de forage et suspension des versements en provenance d’un gazoduc. Tout en condamnant violences et violations des droits humains, son PDG Patrick Pouyanné faisait valoir fin mai que «le monde n’est pas noir ou blanc». «Il y a un droit international qui n’est pas un droit émotionnel», disait-il pour expliquer notamment le versement de taxes et impôts. Htwe Htwe Thein évoque «un véritable dilemme». «Il y a un risque réel que ceux qui attendent pour combler le vide laissé par le désengagement d’entreprises occidentales se soucient beaucoup moins des droits de l’Homme», note-t-elle.