Les cinémas d’art et essai espèrent rebondir moins difficilement que les multiplexes après la crise

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Ce n’est pas la mélodie du bonheur, mais pas le Titanic non plus: grâce à leur public fidèle, des salles art et essai, temples de la cinéphilie, espèrent rebondir moins difficilement que les multiplexes après la crise. C’est le cas au Grand Action, un cinéma phare du quartier Latin à Paris: «le confinement ? J’en profite pour m’agrandir et créer une 3ème salle !», claironne la patronne Isabelle Gibbal-Hardy. L’exploitante, qui vend d’habitude 60.000 billets par an, mais déprime à l’idée de faire le compte cette année, en est convaincue: dès que le feu vert sera donné pour rouvrir, le public retrouvera le chemin des salles obscures. D’ailleurs, après le premier confinement, alors que les grands réseaux payaient l’absence de blockbusters susceptibles de faire revenir le grand public, des salles art et essai faisaient le plein, ou presque. «Nous avons récolté les fruits de l’attachement des spectateurs. Ils nous font des déclarations d’amour !», analyse Mme Gibbal-Hardy. Les séances évènementielles, festivals, ciné-clubs, rencontres avec les réalisateurs ont surtout bien marché. Et même pendant la fermeture, le projecteur du Grand Action n’a pas le temps de refroidir: les salles continuent de servir à la post-production de films, vérification des plans, étalonnage… «Ça bat son plein. Tout le cinéma français qui défile», ajoute Mme Gibbal-Hardy, convaincue que le parc art et essai de Paris, «unique au monde et qui en fait la capitale du cinéma», sortira indemne. Consciente du symbole, la mairie de Paris a voté en octobre une aide exceptionnelle d’un demi-million d’euros pour soutenir ses 36 salles indépendantes, dont certaines accueillent les cinéphiles depuis des décennies, comme l’Escurial ou le Studio des Ursulines. D’une manière générale, entre les perfusions massives de l’Etat, les aides du CNC et les gestes de collectivités, les exploitants de ces petites structures, souvent peu dotées en trésorerie, s’accordent à saluer l’effort financier fait pour leur permettre de passer le cap. «La crise est réelle et touche tous les cinémas», tempère toutefois François Aymé, président de l’Association française des cinémas art et essai (Afcae). Il confirme que certaines salles d’art et essai, par exemple à Paris ou dans de grandes villes, souffrent «dans des proportions moindres que les multiplexes généralistes». «On sait que le public sera là quand on rouvrira. Mais encore faut-il que cette crise ne dure pas trop longtemps», confirme prudemment Claudine Cornillat, à la tête du Max Linder, une autre salle mythique de la capitale avec ses balcons en stuc à l’italienne. L’exploitante n’a qu’une hâte: rouvrir pour projeter la version restaurée du chef d’oeuvre de Wong Kar-Wai, «In the Mood for Love», sur très grand écran: plus de 100 m2. Choc esthétique garanti. Au-delà de ce genre d’évènements, ces cinémas cultivent l’espoir que leur public, par fidélité et par amour des salles obscures, cèdera moins que d’autres aux sirènes des robinets à films, comme Netflix. En attendant, garder le lien pendant le confinement est primordial, en conseillant des films, ou en montant des quiz sur les réseaux sociaux… Inspiré par ses collègues libraires, Michel Ferry, du cinéma des Carmes à Orléans, une salle «indépendante et militante», s’est quant à lui mis au «click and collect». «Le «commande et cueillette»», corrige-t-il, avec des DVD soigneusement choisis pour nourrir les fans de cinéma. «On a gens qui passent, d’autres qui viennent acheter des cartes de prépaiement», se réjouit l’exploitant qui compte sur le soutien de ses plus de 2.000 abonnés… «Mais ce qui nous manque, c’est une date de réouverture. Sans date, on n’a pas de perspective».