Les fusées européennes dans le creux de la vague

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Un carnet de commandes plein, mais pas de fusées pour lancer les satellites: Arianespace, la société chargée de leur exploitation, s’attend à deux prochaines années difficiles et appelle l’Europe spatiale à renforcer son alliance dans les lanceurs. Les retards du futur lanceur lourd Ariane 6, la fin brutale de l’exploitation du lanceur russe Soyouz par les Européens à la suite de l’invasion de l’Ukraine et l’échec du 1er lancement commercial du lanceur léger italien Vega-C ont fait plonger l’activité de la base spatiale de Kourou, en Guyane française, en 2022: six tirs, contre 15 initialement prévus et autant réalisés l’année précédente. Conséquence, le c.a. d’Arianespace, société chargée d’exploiter et de commercialiser Ariane 6 et Vega-C, est «à l’évidence en baisse significative» en 2022, concède sans plus de précision Stéphane Israël, son président. Loin des 1,25 milliard d’euros de 2021. Et l’exercice 2023 ne s’annonce guère plus brillant, avec 5 tirs au mieux quand l’américain Space X effectue plus d’un lancement par semaine: les deux dernières Ariane 5 en avril et en juin, une fusée Vega en septembre, un retour en vol de Vega-C prévu d’ici la fin d’année et le vol inaugural d’Ariane 6 «en fin d’année, avec des risques» de glissement, affirme-t-il. L’Europe spatiale s’appuie sur deux jambes pour garantir sa souveraineté d’accès à l’espace: le lanceur léger Vega-C, fabriquée par l’italien Avio, pour l’orbite basse et la fusée Ariane 6 de plus grande capacité conçue par le franco-allemand Arianegroup. Le lanceur italien Vega et sa dernière version plus puissante, Vega-C, ont connu trois échecs lors des huit derniers lancements, un taux «totalement inacceptable» selon le directeur des lanceurs de l’ESA Daniel Neuenschwander. Le tir de Vega-C en décembre a échoué du fait de la défaillance d’une pièce du col de tuyère en composite de carbone fabriquée par l’Ukrainien Youjnoye. Il est donc essentiel, pour Stéphane Israël, de «réussir le retour en vol dans la durée de Vega», dont les cinq prochains vols feront l’objet d’une supervision étroite d’Arianespace et de l’Agence spatiale européenne (ESA). S’il revient «au maître d’oeuvre de faire la démonstration de l’aptitude du lanceur à voler», Arianespace doit de son côté «réfléchir à la façon dont elle peut intervenir sur la réception du lanceur car in fine nous sommes responsables vis-à-vis de nos clients», selon lui. «Aujourd’hui, les textes organisent le rôle d’Arianespace différemment sur Ariane 6 et Vega», a-t-il déploré. Il faut les harmoniser, argue-t-il, et des discussions sont donc nécessaires avec l’ESA, Arianegroup et Avio, tentée ces dernières années de gérer par elle-même l’exploitation de Vega. Si «le monde spatial est structuré par ses échecs», «il faut éviter la fragmentation. Les lanceurs demandent des investissements publics, une excellence industrielle qui ne permet pas à l’Europe le luxe de la dispersion», plaide-t-il. S’agissant d’Ariane 6, il faut mettre à profit les retards pour organiser l’outil industriel afin qu’il puisse assurer ensuite la montée en cadence, poursuit-il. «On sait que 2023 et 2024 seront des années de cadence réduite de lancement depuis la Guyane et qu’à partir de 2025, il y a un énorme carnet de commandes à délivrer», fait valoir Stéphane Israël. Jamais Arianespace n’a en effet eu tant de lancements à effectuer: 28 Ariane 6 – dont 18 pour le seul déploiement d’une partie de la constellation Kuiper d’Amazon -, 15 Vega-C et deux Vega. Mardi, la société a notamment annoncé avoir signé un contrat pour deux lancements supplémentaires de Vega-C, et un autre en option, afin de déployer des satellites de la future constellation italienne Iride d’observation de la Terre. «Une excellente nouvelle», qui montre «l’engagement italien derrière Vega-C», selon Stéphane Israël. Mais la crise aura un coût commercial: avec autant de lancements à réaliser ces prochaines années, «on va devoir renoncer à court terme à des opportunités (de contrats, ndlr) faute de disponibilité», selon lui.