Livre d’occasion/ extension du droit d’auteur: les plateformes françaises craignent pour leur avenir

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Rémunérer les auteurs pour l’achat de livres d’occasion, oui, favoriser Amazon ou Vinted, non: les plateformes françaises craignent pour leur avenir après l’annonce par le gouvernement d’une extension du droit d’auteur, qui selon elles risque de distordre la concurrence. Deux de ces plateformes, Recyclivre et La Bourse aux livres, tentent en vain d’alerter les pouvoirs publics au sujet des effets pervers qu’aurait sur leur activité un changement de la législation. Sans être entendues. L’exécutif a fait son annonce à l’occasion de la venue du président Emmanuel Macron au Festival du livre de Paris, le 11 avril. La piste proposée, au terme d’un an de réflexion, est d’instaurer un «droit de suite au droit d’auteur», s’appliquant lors des différentes reventes d’un même volume. Le gouvernement souhaite intégrer cette évolution législative à une proposition de loi sur la rémunération des auteurs, actuellement rédigée par les sénatrices Sylvie Robert (PS) et Laure Darcos (Horizons). Recyclivre et La Bourse aux livres n’ont pas eu l’occasion de dire leurs réserves face à ce projet. «J’ai écrit à la ministre (de la Culture, Rachida Dati). Nous avons publié une tribune pour donner notre point de vue. Nous avons cherché à être reçus. Et, pour le moment, aucun contact», déplore Dorian Lovera, directeur général de La Bourse aux livres. «L’activité dans le livre d’occasion est génératrice de beaucoup d’emplois industriels et elle a un équilibre assez fragile. Donc on tient à être consultés», ajoute-t-il. La crainte est de voir des plateformes en ligne étrangères ne pas apporter leur écot à la rémunération des éditeurs et auteurs. «Cette contribution ne touchera jamais les grandes plateformes type Amazon, Vinted ou Leboncoin: elles ne vendent pas directement les livres mais mettent en relation leurs clients avec des vendeurs tiers», estime le codirecteur de Recyclivre, Sylvain Joly. «Dès lors que la réforme exclurait de cette taxation certains acteurs, comme on peut le craindre, nous serions pénalisés. Nous faisons un effort pour nous démarquer et éviter aux acheteurs de livres d’occasion d’être clients de multinationales. Cette taxe créerait une distorsion de concurrence», abonde Dorian Lovera. Une étude commandée par le ministère de la Culture, réalisée par le cabinet GfK auprès de 5.002 personnes en janvier 2023, a montré la préférence des Français pour ces multinationales. Comme site internet où ils ont acheté des livres d’occasion, ils ont cité d’abord le lituanien Vinted, pourtant mieux connu pour le vêtement d’occasion (28%), puis le français Leboncoin (25%) détenu par le norvégien Adevinta, l’américain Amazon (23%) et l’allemand Momox (22%). Recyclivre et La Bourse aux livres sont arrivés en 9e et 10e positions (cités par 7% et 5% des sondés). «Nos marges sont extrêmement faibles. C’est pour ça que nous sommes inquiets», confie le dirigeant du second. Sylvain Joly, pour Recyclivre, veut défendre «ceux qui paient leurs impôts en France et ont mis au coeur de leur modèle la réinsertion professionnelle et l’emploi solidaire». S’il espère que son entreprise fera partie des «acteurs de l’économie sociale et solidaire» exemptés de la réforme, il n’en a pas la certitude. La Bourse aux livres est favorable à une autre mesure, défendue aussi par la Société des gens de lettres: interdire la revente d’occasion d’un livre pendant un certain nombre de mois suivant sa sortie. Pour Recyclivre, il faut «ouvrir une réflexion courageuse sur la répartition de la valeur dans le neuf» et ne pas désigner «l’occasion comme bouc émissaire».