L’université de Lorraine s’exerce à la cyberguerre

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Lits de camps, rations de combat et ordinateurs en réseau : une centaine d’étudiants de l’Université de Lorraine participent jusqu’à vendredi à un exercice de cyberguerre de grande ampleur organisé avec l’armée, pour développer leurs compétences et susciter des vocations en cybersécurité. «Axel, on a un problème, ils ont accès à notre site». En un instant, la tension monte d’un cran dans la salle de commandement de l’équipe «Cryptanga». Opposé aux «Anumérics», ces deux pays imaginaires se livrent une bataille numérique afin d’obtenir le permis d’exploitation de mines de lithium situées sur l’île des «Riverchelles». Le scénario, entre 2 puissances se disputant l’accès à des ressources rares, n’a pas été pensé au hasard. «On a essayé de coller au maximum à la réalité, même si c’est fictif, pour que ce soit le plus immersif possible pour les étudiants», décrit le capitaine Jean-Philippe, co-animateur de l’exercice et réserviste opérationnel au Commandement de la cyberdéfense (Comcyber), la branche de l’armée chargée de la cybersécurité. L’exercice se déroule en ligne grâce à deux cyber-ranges, imposants serveurs permettant de recréer un réseau virtuel semblable à internet, mais sans interaction avec celui-ci. Des réseaux sociaux ou des médias en ligne ont également été reproduits, de même que des systèmes physiques de sécurité connectés (vidéosurveillance, cartes d’accès) de manière à permettre à cette cyberguerre de se déployer dans toutes ses dimensions. «Il y a plus de 200 équipements dans l’ensemble de l’exercice», complète le capitaine, réserviste cyberdéfense et maître du jeu. «On a des routeurs, des serveurs, des équipements de télécommunications, des automates, des robots, tout un éventail d’artefacts numériques qu’on rencontre dans les métiers de la cybersécurité, et qui sont à analyser, à défendre ou à attaquer». Pour l’emporter, chaque équipe doit défendre sa crédibilité en ligne en gardant le contrôle de ses infrastructures numériques, tout en déstabilisant celles de l’adversaire. «Là, nos opposants ont réussi à entrer sur le site de notre média et à publier du contenu. On vient de s’en rendre compte, on va mettre en place une cellule de crise pour voir comment on peut le récupérer», s’inquiète Florent Thirion, 25 ans, étudiant en master 2 Veille stratégique et organisation des connaissances à l’université de Lorraine. Derrière lui, d’autres étudiants, formés à la Lutte informatique d’influence (L2I) administrent plusieurs comptes sur des réseaux sociaux pour tenter de gagner la guerre d’information. «Notre stratégie change chaque jour, en fonction des évènements», raconte Carla del Popolo, 22 ans, l’une des rares filles à participer à la simulation. «Par exemple cette nuit, tous nos mots de passe ont été craqués par l’autre équipe. Derrière, on crée plein de profiles fakes, on doit répondre, faire du bruit, noyer les publications en notre défaveur». L’exercice se déroule pendant 3 jours, dont une nuit sur place, car «quand un conflit s’ouvre, ce n’est pas pour s’arrêter à 18h30», souligne un réserviste. «Ça commence à fatiguer, on sent que ça s’essouffle un peu depuis midi», admet Arthur Terrien, 22 ans, en 5ème année à Polytech’Nancy. L’exercice réunit six entités de l’université de Nancy (dont l’école des Mines, Télécom, la Faculté des sciences et techniques ou l’IUT Brabois) et intéresse les industriels, mais c’est pour le ministère des Armées, co-organisateur, qu’il revêt le plus d’enjeux. «Pour le Commandement de cyberdéfense, c’est une opportunité de détecter des talents, des compétences rares et de créer des vocations», assure le colonel Eric Koessler, commandant de la base de défense de Nancy. «Ça fait des années qu’on est conscient des menaces potentielles, mais on est tous témoins du fait qu’il y a une accélération du tempo dans ce domaine là». Le ministère compte ainsi faire passer ses effectifs de cybercombattants de 3.700 actuellement à 5.200 en 2025. Un Forum de l’emploi est d’ailleurs organisé pour clore l’exercice de cyberguerre.